La Folle d'Itteville

 

 

Le 15 novembre 1931, Georges SImenon signe avec l'éditeur Jacques Haumont un contrat pour un roman intitulé G7 qui devait inaugurer "une série de trois, six ou neuf romans de la même longueur" que l'auteur s'engageait à livrer sur demande à la cadence d'un volume environ par mois. Chaque volume de la collection Phototexte devait contenir un minimum de trente illustrations photographiques assorties au texte. Une innovation pleine de zeste.

G7 devient La Folle d'Itteville, et Germaine Krull fut en charge des photos. Loin d'être de simples illustrations, elles contribuaient pleinement à la narration, voire la troublaient jusqu'à donner à la prose sèche de Simenon une dimension onirique:  ombres surimposées, intensité de gris, feuilletages des perspectives, effets de zoom, contrastes flous, opacité des contre-jours, obscurité des arrière-plans,  théâtralité du cinéma muet, influence expressionniste. Certaines photos reviennent à l'identique, d'autres demeurent incompréhensibles, ajoutant du mystère au mystère, comme si elles formaient une intrigue parallèle au texte.

Faute de succès commercial, la collection s'arrêta là. Ne reste que l'annonce sur le dernière page du roman d'une Affaire des sept.

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Last folio

Rangée de livres dans l'école juive de Bardejov, Yuri Dojc, 2006

Rangée de livres dans l'école juive de Bardejov, Yuri Dojc, 2006

Ecole juive à Bardejov, par Yuri Dojc, 2006

Fragment de livre, école juive de Bardejov, Yuri Dojc, 2011

Rangée de livres, école juive de Bardejov, Yuri Dojc, 2006

 

En novembre 2005, le photographe canadien Yuri Dojc et la productrice anglaise Katya Krausova, tous deux nés en Tchécoslovaquie,  entament un périple à travers la Slovaquie pour réaliser un film sur les survivants de l'holocauste. En mars 2006, ils se dirigent vers Bardejov, non loin de la frontière polonaise, pour filmer la grande synagogue transformée en entrepôt et recueillir le témoignage du dernier couple juif de cette ville de 30 000 habitants,  les Simonovic. L'interview terminée, ils s'apprêtent à regagner leur hôtel pour un repos bien mérité quand un vieux monsieur les accoste dans le hall de l'immeuble et insiste pour les recevoir chez lui : il a quelque chose d'important à leur dire. Sa femme a préparé des friandises et les accueille dans leur minuscule salon. Gardien du temple protestant, il détient les clefs d'un bâtiment qu'il veut absolument leur montrer avant leur départ. Le photographe décline son offre en mettant en avant le long trajet qui les attend dans la neige. Le lendemain matin, aux environs de huit heures,  alors que toute l'équipe s'apprête à partir, il aperçoit la silhouette du vieux monsieur qui s'approche : "seulement dix minutes", supplie-t-il. Yuri Dojc accepte et suit M. Bogol jusqu'à un bâtiment banal situé derrière la grand place, joyau patrimonial de la ville.

Quand il en ressort, il est deux heures de l'après-midi. Il vient de pénétrer dans une école juive où tout est resté à la même place depuis ce jour de 1942 où  3700 juifs de Bardejov ont été déportés. Là, le temps s'est arrêté : tables, bancs, lampes, étagères chargées de livres, de cahiers, de livres de compte recouverts de poussière sont restés intacts.

Ces livres, Yuri Dojc, qui reviendra sur les lieux à plusieurs reprises, leur consacrera un projet spécial, Last Folio. Il s'approchera au plus près de leurs textures pour en faire de véritables portraits, attentif aux moindres marques d'usure, à leurs couvertures frangées, au gondolement de leurs pages humides, à leurs noircissements, à leurs dos déchiquetés, à leurs morcellements, à leurs déchirures. Des portraits qui seront autant de portraits en creux de ceux qui les ont fabriqués, de ceux qui les ont lus silencieusement ou à voix haute, feuilletés,  cornés, soulignés, recopiés, retournés, mis en pile, déplacés, de ceux qui les ont commentés au cours de vives discussions,  de ceux qui se les sont échangés, de ceux qui en ont appris des passages par cœur, qui les ont récités, qui les ont appris à d'autres, de ceux qui les ont gardé en mémoire et qui ne sont jamais revenus, disparus à jamais.

Sur l'une des photos d'un volume pris au hasard par Yuri Dojc - qui ne ne connaît pas l'hébreu-, se détache parmi les pages qui tombent en lambeaux, comme entouré d'une aura,  un mot d'encre noire : "Hanishar", "ce qui reste".

 

 

Last Folio, A Photographic Memory, de Yuri Dojc et Katya Krausova, Prestel, 2015

 

 

 

white: a project

Elephant folio vierge, collection de la Royal Academy

Coupe à deux anses de Meissen, vers 1715, collection personnelle d'Edmund de Waal

Négatif sur papier ciré d'Horatio Ross,  c. 1850-1860. Fir trees on the bands of Dornoch. Hans P. Kraus Jr, New York.

a mind of winter, Edmund de Waal, 2015, Alan CristeaGallery, London

 

 

 

"White is aura. White is a staging post to look at the world from. White is not neutral; it forces other colours to reveal themselves. It moralises – it is clean when nothing else is clean, it is light when most things are heavy. It is about impossibility. Think of Moby Dick and Captain Ahab, the question crying out, “What is this thing of whiteness?” White is a place to begin and a place to end. "

C'est ainsi que commence la plaquette oblongue que le grand céramiste britannique Edmund de Waal a écrite pour accompagner sa magnifique installation white: a project  au sein de la bibliothèque de la Royal Academy.

Pour y pénétrer, il vous aura fallu vous dépouiller : laisser au vestiaire vos objets personnels. Car white: invite d'abord à une expérience physique : la couleur blanche impose le silence.

Edmund de Waal a regroupé des œuvres que l'on n'a jamais l'habitude de voir ensemble. D'abord dans la salle des gravures : citons une sculpture de Cy Twombly avec un émail peint de la Renaisssance, la palette de porcelaine de Turner avec un netsuke de sa collection privée (objet de son fameux livre Le lièvre aux yeux d'ambre), une partition de John Cage avec une tasse en porcelaine de Meissen, l'une des premières pièces de porcelaine à avoir été fabriquée en Europe, la réplique du buste d'Ippolita Sforza détruit dans les bombardements de Berlin avec sa vitrine noire de pots blancs, a mind of winter. Ensuite, dans les rayonnages de la bibliothèque elle-même, se détachant dans la pénombre studieuse : une nature morte de Morandi, une théière de Malevitch, une stèle anthropomorphique en calcite d'Arabie, une œuvre de Garry Fabian Miller fondée sur la capture de la trace de reflets d'eau à travers un verre coloré sur du papier photosensible. Ces rapprochements opèrent comme autant de variations poétiques autour des émotions esthétiques contrastées que procure le blanc. Un vide, une totalité,  une lumière, une disparation, une infinité, une structure délimitée, un reflet, une absorption, le tout et le rien, le début et la fin.

Et ce sera un choc pour le visiteur de se heurter à la sortie aux foules qui se pressent à l'exposition Ai Weiwei. Il pourra cependant prolonger le rare plaisir qu'il aura ressenti en suivant la White Road  qu'Edmund de Waal a remontée dans son dernier livre.

 

 

 

 

 

Une demeure de 1932

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Du salon à la cuisine,  des chambres de jeune homme aux chambres de petites filles, du fumoir au boudoir, de la salle à manger des enfants à la salle de jeu, de salle de bain en salle de bain,  les horloges fonctionnent à nouveau dans la Villa Cavrois construite par Robert Mallet-Stevens à Croix, dans la banlieue de Lille.

Laissée à l'abandon, vandalisée, pillée, envahie par la végétation, près d'être détruite pour lotir le terrain, elle a  finalement été achetée par l’État à la suite d'une longue bataille patrimoniale et a fait l'objet d'une somptueuse restauration menée par le centre des monuments nationaux. Aucun détail n'a été négligé, le moindre indice a été mis à profit dans une démarche proprement archéologique. Quand les traces ne suffisaient plus, il a fallu scruter au millimètre près les photos illustrant la petit in-quarto que Mallet-Stevens publia aux éditions L'Architecture d'aujourd'hui : Une demeure de 1934.  Un savoir-faire perdu a été remobilisé par des artisans spécialisés. Raffinement parmi d'autres : pour la fabrication des placages en bois de palmier de certains meubles fixes, il a fallu recourir à la seule scie en France permettant de tailler assez finement cette essence ultra-fragile, une scie du XIXe siècle.

 

La Villa Cavrois est membre du réseau international Iconic Houses dédié à l'architecture du XXe siècle

Raconter une vie

Casa Mollino. (photo issue du site de l'Institut culturel italien de Paris.)

Casa Mollino. (photo issue du site de l'Institut culturel italien de Paris.)

Photo de Pino Musi

Photo de Pino Musi

 

 

Comment raconter une vie ? Comment se défaire de l'ordre chronologique et de la fausse cohérence rétrospective qu'il plaque sur les milliers de possibles activés ou non auquel un individu est confronté tout au long de son existence ? Comment rendre compte des contradictions et bifurcations  ? Comment laisser le mouvement de la vie  prendre le pas sur l'immobilité du mort ?

Ces questions prennent un relief particulier lorsqu'elles s'appliquent à un être comme Carlo Mollino (1905-1968) qui a fait du mouvement l'essence de sa vie. Impossible d'épuiser sa rage de liberté dans l'énumération de ses occupations, fonctions et passions  : ingénieur,  architecte, professeur d'architecture à l’École polytechnique de Turin, concepteur de meubles tout en courbes et asymétrie, défiant l'apesanteur, et de luminaires, photographe, historien de la photographie, journaliste, pilote automobile et inventeur d'une voiture de course, amateur de voltige aérienne, skieur émérite et pionnier de nouvelles techniques de ski alpin , généreux ami fabricant de présents,  célibataire passionné de belles femmes, etc.

Un homme capable de répondre ceci lorsque la revue Domus lui demande en 1942 de décrire sa maison idéale :

"Ainsi, si je le devais, ou avais besoin de me faire construire une maison, je partirais du principe de ne pas déranger  et de laisser mon esprit libre d'imaginer et d'évoluer, tout en tenant compte aussi peu que possible de mon goût actuel, conscient du fait que la sphère platonicienne du travail achevé finit toujours par coïncider avec le goût stylistique actuel. Mais la question est différente, il s'agit de ne pas compromettre la création poétique future - nécessairement différente de l'actuelle - par l'arrogance de l'environnement." "J'ai besoin d'une coque harmonieuse, - très bien - , mais elle ne doit pas inspirer un sentiment définitif et bloqué sur une posture mentale - tel est le défi à résoudre au niveau plastique."

Un homme capable d'utiliser son don extraordinaire pour la visualisation dans l'espace et son ambidextrie à tracer en même temps des deux mains des dessins différents.

Fulvio Ferrari et son fils Napoleone qui le connaissent mieux que personne ont trouvé la parfaite solution : ils se sont refusé à écrire toute biographie de peur de  figer l'existence de Carlo Mollino dans l'encre des caractères d'imprimerie. Au lieu de cela, ils ont choisi de raconter sa vie à la manière des conteurs ambulants. Recevant les visiteurs à la Casa Museo Mollino au numéro 2 de la via Napione à Turin,  ils prennent le temps de déployer de superbes versions contées adaptées à chaque auditoire, jouant de la succession de plans larges et d'effets de zoom sur des détails enchanteurs devant une table basse recouverte de livres de ou sur CM. Dans les interstices de ces récits oraux, ils redonnent toute sa liberté de mouvement à leur héros. Pour eux, sa vie même est une histoire sans fin, toujours à recommencer, chaque nouvelle découverte d'archive reconfigurant ce qu'ils tenaient pour acquis.

Puis, ils vous emmènent visiter les pièces de cet appartement qu'ils ont sauvé d'une irrémédiable destruction  et vous en révèlent l'étonnant secret. Ici Carlo Mollino est toujours vivant.

 

Photo de Pino Musi

Photo de Pino Musi

Le balcon sur le Pô. (photo issue du site All Items Loaded)

Le balcon sur le Pô. (photo issue du site All Items Loaded)

Visites sur rendez-vous

Museo Casa Mollino
Via Napione 2
10124 Torino - I
Tel +39 011 8129868

casamollino@fastwebnet.it




Peindre l'éphémère

Piero di Cosimo. Allégorie. National Gallery of Art, Washington.

 

Une exposition consacrée à Piero di Cosimo s'ouvrira bientôt au musée des Offices à Florence, après avoir été présentée à Washington. Unanimement saluée, elle rassemble la quasi-totalité des œuvres du peintre  : polyptyques, autels, tondi et petits tableaux de dévotion, scènes mythologiques, portraits,  panneaux de coffre de mariage.

Il ne s'agit cependant que d'une petite part de sa production, l'autre ayant été perdue à jamais et pour cause :  comme le souligne Anthony Grafton dans son bel article de la New York Review of Books, Piero di Cosimo dut principalement sa renommée à la scénographie des processions si familières à la Florence de la fin du XVe siècle.  Tout au long de l'année, les habitants voyaient défiler de somptueux cortèges, qu'ils soient publics -  éblouissement devant le procession de  la Compagnia dei Magi mettant en scène les membres de la famille Médicis vêtus de costumes de soie, de perles et de brocart, accompagnés de chevaux pavoisés chargés de coffres, étendards flottant au vent - ou privés  - surprise de voir surgir au détour d'une rue deux cents pages vêtus de blanc escortant un cœur ardent géant, cadeau envoyé en gage d'amour par un riche patricien à une jeune femme qu'il convoitait. 

Dans ses peintures d'ornements et de décors éphémères, Piero di Cosimo fit preuve du même goût de l'étrange que dans ses tableaux mythologiques,  si l'on en juge par le récit que fit Vasari - certes, toujours sujet à caution - de l'effroi mémorable suscité par le char de la mort qu'il élabora dans le plus grand secret : un catafalque semé d'ossements et de croix blanches tiré par des buffles noirs ; en son centre,  la Mort, de taille gigantesque, tenant une faux et entourée de tombeaux qui s'entr'ouvraient à chaque station pour laisser apparaître des hommes déguisés en squelettes chantant de manière déchirante "Dolor, pianto e penitenza", alors qu'à leur suite, une légion de cavaliers de la mort montés sur des chevaux décharnés murmurait en continu le Miserere, au milieu d'une foule de valets et d'écuyers.

 

Door to door

Barbara Rothenberg. 135 Eastern Parkway, Prospect Heights, Brooklyn. June 9, 1978.

Barbara Rothenberg. 135 Eastern Parkway, Prospect Heights, Brooklyn. June 9, 1978.

Jonathan & Dorothy Nelson. 897 Sterling Pl., Bedford-Stuyvesant, Brooklyn. May 20, 1978.

Jonathan & Dorothy Nelson. 897 Sterling Pl., Bedford-Stuyvesant, Brooklyn. May 20, 1978.

Home of Gerard Basquiat. 553 Pacific St., Park Slope, Brooklyn. March 5, 1978.

Home of Gerard Basquiat. 553 Pacific St., Park Slope, Brooklyn. March 5, 1978.

Anthony & Anita Dellasala & family. 1122 75th St., Bay Ridge, Brooklyn. July 27, 1978.

Anthony & Anita Dellasala & family. 1122 75th St., Bay Ridge, Brooklyn. July 27, 1978.

Tim & Carol Sullivan. 284 Clinton Ave., Clinton Hill, Brooklyn. March 30, 1978.

Tim & Carol Sullivan. 284 Clinton Ave., Clinton Hill, Brooklyn. March 30, 1978.

Rosie Bernier & son Patrick. 1964 Nostrand Ave., Flatbush, Brooklyn. October 15, 1978.

Rosie Bernier & son Patrick. 1964 Nostrand Ave., Flatbush, Brooklyn. October 15, 1978.

 

 

 

En 1972, Dinanda Hansen Nooney fait partie des volontaires new-yorkais pour la campagne présidentielle de George McGovern. Selon une technique éprouvée outre-altanique, elle frappe à des centaines et des centaines de portes. Dans les différents boroughs de Brooklyn, elle croise quelques minutes seulement familles, couples, personnes isolées et entrevoit furtivement leur lieu de vie. On peut supposer à bon droit que sa nature curieuse en est tout autant exaltée que frustrée. Six ans plus tard, à soixante ans, elle décide de se livrer à un tout autre travail de persuasion :  elle quadrille les blocs d'immeubles et de maisons à un rythme quasi-quotidien pour demander aux habitants s'ils accepteraient qu'elle fasse leur portrait chez eux dans la pose de leur choix.  Plus de deux cents se laissent convaincre : en un saisissant tableau, elle parvient à saisir depuis les espaces privés la diversité de Brooklyn un pleine métamorphose sociale et économique à la fin des années soixante-dix.

Elle fit don de ses clichés en noir et blanc à la New York Public Library en 1995.

 

Julius & Sally Meizels. Turner Tower, 8H. 135 Eastern Parkway, Prospect Heights, Brooklyn. June 20, 1978.

Julius & Sally Meizels. Turner Tower, 8H. 135 Eastern Parkway, Prospect Heights, Brooklyn. June 20, 1978.

Beauty revealed

Sarah Goodridge, Beauty revealed, aquarelle sur ivoire, 1828. Metropolitan Museum of Art, New York

Sarah Goodridge, Beauty revealed, aquarelle sur ivoire, 1828. Metropolitan Museum of Art, New York

 

Que se serait-il passé si cette boîte carrée rouge était restée au fond d'un tiroir dans quelque meuble de grenier ? C'est une tout autre image de Sarah Goodridge sans doute que l'on aurait perçue : une vieille fille de Nouvelle-Angleterre, née dans une ferme où elle traçait ses premiers dessins avec un bâton sur le sol en terre battue de la cuisine devenue talentueuse miniaturiste à même de soutenir financièrement sa mère malade et sa nièce orpheline grâce à ses portraits aquarellés sur ivoire de la bonne bourgeoisie de Boston.

Mais il a fallu que la famille de l'homme à qui elle a offert ce trésor  le transmette de génération en génération. Non pas un œil ou même une bouche, comme le voulait la tradition du bijou sentimental, mais de beaux seins blancs légèrement dissymétriques nimbés par une draperie blanche  : une manière de se cacher en ne montrant pas son visage tout en se révélant grâce à l'indice du grain de beauté, détail intime que seul un amant pouvait identifier.  C'est en 1828, peu après le décès de sa femme, qu'elle fit don de cet incroyable auto-portrait à Daniel Webster, politicien qui avait posé pour elle et avec qui elle entretenait une correspondance nourrie.  Hardie démonstration de son désir ou silencieuse demande en mariage ? Nul ne le saura, toujours est-il qu'un an plus tard, il se maria avec une riche jeune femme new-yorkaise. Il continua à la voir, à poser pour elle, à lui écrire des lettres, à détruire celles qu'elle lui envoyait et garda la petite boîte carrée rouge dans ses affaires personnelles jusqu'à sa mort.

 

Papillons de l'âme

Dessin d'un neurone  Purkinje et de ses milliers de synapses dans le cortex cerebelleux d'un pigeon. 1899. Museo Cajal. Madrid.

Dans son livre Souvenirs de ma vie, le grand biologiste Santiago Ramón y Cajal, père des neurosciences modernes, écrivait en 1917 :

« Comme l’entomologiste en quête de papillons aux couleurs vives, mon attention cherchait, dans le jardin de la matière grise, des cellules aux formes élégantes et délicates, les mystérieux papillons de l’âme. »

Cette émotion esthétique ressentie devant les coupes colorées des tissus cérébraux analysées au microscope, il la prolongea dans les centaines de dessins qu'il exécuta à main levée au moyen d'une camera lucida. Passionné de dessin dès l'enfance, il songea même à être artiste avant que son père ne l'oblige à faire des études de médecine. D'une grande précision, ces arborescences n'en sont pas moins considérées aujourd'hui comme marquées par une certaine licence artistique.

Dédicace

Marlene Dietrich en Shanghai Lily dans Shanghai Express de Joseph von Sternberg. Dédicace à l'encre blanche. Coll. part.

 

 

 

Une photo dédicacée de Marlene Dietrich. Au dos, à l'encre noire : "Guess who's prettier ?". Une enveloppe adressée à Helmut Berger qui vient de tourner dans Les Damnés, où il l'imite déguisé en Ange bleu.

 

 

 

 

 

 

 

Palazzo Sanfelice

 

Naples fond comme un morceau de sucre sous la pluie. Corrodés, érodés, effrités,  ses églises et ses palais. A peine l’effondrement d'une corniche intérieure du Palazzo Sanfelice fait-elle venir une maigre escouade de vigili del fuoco accompagnés d'un architecte bien mis se bornant à enregistrer les dégâts. Quelques femmes passent négligemment la tête à la fenêtre. Personne ne semble s'alarmer.

Naples perd tous les jours de sa substance dans l'indifférence altière de ses habitants.

Comme après tout voyage, une image se détache qui subsume des milliers de pas, des milliers de regards en une intuition de vérité. Une scène à laquelle on n'aura sur le coup prêté qu'une attention flottante, banalité enchâssée parmi des trésors offerts à notre impatiente curiosité.

Cette image, c'est celle d'une gardienne du musée de Capodimonte venant relever l'un de ses collègues et se hâtant d'installer sa chaise derrière des voilages : dans le renfoncement qu'elle a choisi, on ne voit plus que ses jambes mais l'on discerne son visage tourné vers la fenêtre. Elle contemple le Vésuve, dont le double sommet enrubanné de brume émerge d'une rangée de palmiers. Un visiteur pourrait découper une toile qu'elle ne s'en apercevrait pas ;  elle s'est installée loin des tableaux précieux, là où il n'y a presque aucune œuvre à voler. Tout en elle semble dire que rien n'est vraiment grave lorsque l'on vit sous la menace du volcan.