Words

Words, then, are not useful. Let us now enquire into their other quality, their positive quality, that is, their power to tell the truth. According once more to the dictionary there are at least three kinds of truth God’s or gospel truth; literary truth; and home truth (generally. unflattering). But to consider each separately would take too long. Let us then simplify and assert that since the only test of truth is length of life, and since words survive the chops and changes of time longer than any other substance, therefore they are the truest. Buildings fall; even the earth perishes. What was yesterday a cornfield is to-day a bungalow. But words, if properly used, seem able to live for ever. What, then, we may ask next, is the proper use of words? Not, so we have said, to make a useful statement; for a useful statement is a statement that can mean only one thing. And it is the nature of words to mean many things. Take the simple sentence “Passing Russell Square.” That proved useless because besides the surface meaning it contained so many sunken meanings. The word “passing” suggested the transiency of things, the passing of time and the changes of human life. Then the word “Russell” suggested the rustling of leaves and the skirt on a polished floor also the ducal house of Bedford and half the history of England. Finally the word “Square” brings in the sight, the shape of an actual square combined with some visual suggestion of the stark angularity of stucco. Thus one sentence of the simplest kind rouses the imagination, the memory, the eye and the ear — all combine in reading it.

 

Virginia Woolf. Craftmanship. BBC, 29 avril 1937.

Débit

"Ce n'est pas qu'une impression : les Espagnols parlent vraiment très vite. Selon une étude du Laboratoire dynamique du langage de l'Institut des sciences de l'homme, basé à Lyon, ils prononcent 26 % de syllabes en plus par seconde que les Anglais. Et 50 % de plus que ceux qui parlent mandarin. L'étude – qui s'est intéressée à l'allemand, à l'anglais, à l'espagnol, au français, à l'italien, au japonais et au mandarin – constate que le nombre de syllabes disponibles varie de 416 (en japonais) à près de 8 000 en anglais.

Pourtant "la vitesse de transmission du message" que l'on veut  faire passer est "quasi constante". En effet, nos voisins espagnols ne transmettent pas plus d'informations, car une syllabe anglaise ou allemande porte davantage de contenu. En clair, "une langue rapide" comme l'espagnol ou l'italien a recours à davantage de syllabes pour raconter la même histoire. La dimension culturelle peut également allonger  le discours. C'est notamment le cas en japonais, où les formules de politesse, très codifiées, "font partie de l'information jugée essentielle à transmettre". Et le français ? Il se situe dans une zone médiane. Débit point trop soutenu et densité d'information modérément élevée. Bref, nous parlons en partie pour ne rien dire mais moins que d'autres."

"L'art de parler plus vite sans en dire plus", Jean-Michel Normand in M le magazine du Monde du 09 novembre 2012

 

Lessico Famigliare

"Nous sommes cinq frères et sœurs. Nous n'habitons pas la même ville, certains d'entre nous résident à l'étranger : et nous ne nous écrivons pas souvent. Il arrive, quand nous nous rencontrons, que nous nous montrions, les uns envers les autres, indifférents ou distraits. Mais il suffit, entre nous, d'un mot. Il suffit d'un mot, d'une phrase : une de ces phrases maintes fois entendues et répétées dans notre enfance. Il nous suffit de dire " Nous ne sommes pas venus à Bergame pour rigoler" ou " De quoi qu' ça pue l'acide sulfurique pour retrouver tout à coup nos anciens rapports, notre enfance et notre jeunesse, indissolublement liées à ces phrases, à ces paroles. 

L'une quelconque de ces phrases ou de ces paroles nous permettrait     de nous reconnaître dans l'obscurité d'une grotte, au milieu de     milliers et de milliers de personnes. Ces phrases sont notre latin     même, le vocabulaire de nos jours passés, elles sont comme les     hiéroglyphes des Égyptiens ou des Assyro-babyloniens, le témoignage     d'un noyau vital qui a cessé d'être mais survit dans les textes,     sauvés de la fureur des eaux et de la corrosion du temps.  Ces     phrases constituent le fondement de notre unité, un unité qui     subsistera jusqu'à notre mort, qui se recréera et ressuscitera dans     les endroits les plus divers de la terre quand l'un de nous dira :
-Illustre monsieur Lipmann, et que, sur le champ résonnera à notre     oreille la voix impatientée de mon père :
- Finissez-en avec cette histoire, je l'ai entendue des centaines de     fois".

Natalia Ginzburg. Les mots de la tribu. tr. Michèle Causse, carnets rouges Grasset. 

Lessico famigliare, Einaudi, 1966.