Villa dei Misteri

"Le choc existentiel [ provoqué par l'initiation aux mystères ] était sans commune mesure avec sa cause probablement médiocre. On connaît ces passionnés dont une révélation plus grande ou plus petite a changé la vie : la poésie, la lecture d’Épictète, un gourou, les activités charitables, l'idéal de mourir en combattant, la chaleur éthique ou politique, un fan club d'Elvis Presley, l'alpinisme, l'éternité spinoziste, la science, la peinture ; il a fallu multiplier les substantifs, tant l'âme humaine est polymorphe et tant la frontière entre ses intérêts et ses imaginations est flottante. Loin d'être la forme éminente de ces conversions de tout l'être, la religion n'en est qu'un cas particulier.

Le terme de la mort, dont parle Pindare, n'est plus alors une cassure angoissante qui tranche dans le vif ; c'est plutôt la barre, au-dessous de l'addition des années, où une existence justifiée devient totalité. A Éleusis, certains apprenaient ainsi le vrai sens de la mort. Or, à cette époque, la philosophie n'était pas curiosité intellectuelle ou culturelle mais règle de vie à appliquer ; elle occupait, dans la vie intérieure, la place qu'occupera la religion à l'époque chrétienne. Les Mystères était la seule partie du paganisme qui pouvait rivaliser avec la philosophie de son temps, d'où leur prestige".

 

Paul Veyne. "La fresque dite des mystères à Pompéi" in Les mystères du gynécée. Gallimard, le temps des images. 1998.

Désarçonné

"Cette recordation     que j'en ai fort empreinte en mon âme, me représentant son visage et son     idée si près du naturel, me concilie aucunement     à elle. Quand je commençai à y voir,     ce fut d'une vue si trouble, si faible et si morte, que je ne discernais     encore rien que la lumière... Quant aux fonctions de l'âme, elles naissaient     avec même progrès que celles du corps. Je me vis tout sanglant, car mon     pourpoint était taché partout du sang que j'avais rendu. La première pensée     qui me vint, ce fut que j'avais une arquebuse en la tête : de vrai, en même     temps, il s'en tirait plusieurs autour de nous.     Il me semblait que ma vie ne me tenait     plus qu'au bout des lèvres : je fermais les yeux pour aider, ce me semblait,     à la pousser hors, et prenais plaisir à m'alanguir et à me laisser aller.     C'était une imagination qui ne faisait que nager superficiellement en mon     âme, aussi tendre et aussi faible que tout le reste, mais à la vérité non     seulement exempte de déplaisir, ains     mêlée à cette douceur que sentent ceux qui se laissent glisser au sommeil.     [...]    
Mon assiette     était à la vérité très douce et paisible ; je n'avais d'affliction ni pour     autrui ni pour moi : c'était langueur et une extrême faiblesse, sans aucune     douleur. Je vis ma maison sans la reconnaître. Quand on m'eût couché, je     sentis une infinie douceur à ce repos, car j'avais été vilainement tirassé     par ces pauvres gens, qui avaient pris la peine de me porter sur leurs bras     par un long et très mauvais chemin, et s'y étaient lassés deux ou trois     fois les uns après les autres. On me présenta force remèdes, de quoi je     n'en reçus aucun, tenant pour certain que j'étais blessé à mort par la tête. C'eût     été sans mentir une mort bien heureuse, car la faiblesse de mon discours     me gardait d'en rien juger, et celle du corps d'en rien sentir. Je me laissais     couler si doucement et d'une façon si douce et si aisée que je ne sens guère     autre action moins pesante que celle-là était. [...]    
Ce conte d'un événement     si léger est assez vain, n'était l'instruction que j'en ai tirée pour moi     : car, à la vérité, pour s'apprivoiser à la mort, je trouve qu'il n'y a     que de s'en avoisiner."
                                                                                                                                 Montaigne, Essais, II, 6