Temps vertical

Comment avez-vous accordé le temps de la musique avec la temporalité théâtrale [dans La Flûte enchantée montée au Festival d'Aix ]?

Simon  McBurney : La question du temps, fondamentale dans le théâtre, a toujours été un paradoxe. C'est un art du présent qui convoque le temps de l'imaginaire. Cela implique qu'il peut suspendre le mouvement horizontal de la narration pour entrer dans la dimension verticale du temps intérieur. Dans Hamlet, le fameux "To be or not to be" de Shakespeare stoppe l'avancée de la pièce pour engager avec le public un débat autour de la question du suicide. La musique, qui permet d'exprimer publiquement le plus intime en soi, donne la priorité au temps vertical. Comme le théâtre, elle met en échec la tyrannie de la narration, qui a envahi aujourd’hui notre quotidien et les films à la télévision. Le théâtre est toujours un art politique.

 

Entretien avec Simon Mc Burney. Marie-Aude Roux, Le Monde 4 juillet 2004.

La production du récit

"Une interprétation plus optimiste serait de penser que ce prix récompense aussi une forme d'histoire moins assurée ou moins arrogante, celle que Patrick Boucheron appelle l'"histoire inquiète". C'est une histoire qui non seulement renonce à la vérité à majuscule, mais aussi rend visibles les opérations par lesquelles elle se constitue. Elle refuse d'enlever les échafaudages devant les façades. Bien sûr, dans L'Histoire à parts égales, je présente Java en 1596, mais montrer au lecteur la façon dont je produis ce récit sur le passé m'intéresse au fond autant. Cette manière de faire produit des vérités plus modestes, plus circonscrites, mais aussi plus robustes.

La question de l'écriture est donc centrale. Non pas au sens du beau style, mais en termes d'écriture filmique, dans le choix de la focale de cadrage, de la scénographie, dans la façon dont on déploie une intrigue. 
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Faut-il déplorer un rétrécissement du public ?

Les trentenaires cultivés lisent beaucoup, et souvent des œuvres aux formats de narration très inventifs, de la BD alternative au roman expérimental. Si nous, historiens, continuons d'écrire comme dans les années 1910, nous les perdons en trente pages. Il faudrait être capable de scénariser un livre comme les séries anglo-saxonnes "Rome" ou "Les Tudor", qui échappent au récit linéaire. La construction de mon ouvrage, qui commence comme si tout coulait de source et se brise soudainement, est une tentative, inaboutie sûrement, en ce sens. "

Entretien de Romain Bertrand avec Julie Clarini, à propos de son Grand prix des Rendez-vous de l'histoire de Blois.  
Monde des Livres, 19 octobre 2012