"La saison dernière, entre Paris, Milan, Londres et New York, il y a eu 372 défilés, 13 875 silhouettes, des centaines de milliers de vêtements", souligne Olivier Saillard, directeur du tout récemment rénové musée de la mode de Paris, Palais Galliera, dans un entretien à Libération .
Dans la performance qu'il a montée avec Tilda Swinton, complice déjà de son Imposssible Wardrobe, il a voulu donner à voir une robe qui romprait radicalement avec cette prolifération. Arrachée au temps de la mode et de ses incessants renouvellements, l' Eternity dress est une robe unique qui serait en même temps toutes les robes.
Robe en train de se faire, elle s'inscrit dans les gestes originaires du tailleur et de la couturière, répétés depuis des siècles comme un invariant structurel : la prise de mesures, le patronage, la découpe, l'assemblage.
Tilda Swinton offre son corps neutralisé à cet exercice mathématique, énumérant ses mensurations comme un mannequin stockman parlant : tour de taille, tour de hanches, tour de petites hanches, longueur milieu dos/pointe sein, largeur coude plié, etc. L'unicité absolue d'une anatomie se transforme peu à peu en formes géométriques abstraites - lignes horizontales et verticales, arcs de cercle - objectivées sur une feuille de papier.
Puis la robe, forme inerte et éclatée, fait retour au corps. Après le mètre-ruban, d'autres outils interviennent : ciseaux, épingles, aiguilles, fil et même arrondisseur de jupe, tout droit sorti d'un jeu de devinettes (à quoi sert cet objet ?).
Assemblée et cousue, elle mue le corps mannequiné de Tilda Swinton en un corps signifiant dont la plasticité fascine. Le robot qu'elle était se transforme peu à peu. Des dizaines de modèles de col (qui donne lieu à une savoureuse liste de noms), et de manches la métamorphosent sous nos yeux en femme d'autres époques, à l'instar de l'Orlando de Virginia Woolf qu'elle incarna au cinéma.
Enfin, elle esquisse d'un simple mouvement de bras ou de jambes une séries de poses. Une chorégraphie muette qu'elle répétera en la légendant peu après : Poiret, Chanel, Schiaparelli, Dior, Balenciaga, Courrèges, Saint-Laurent, Jean-Paul Gaultier, Yohji Yamamoto, Comme des garçons, Issey Miyake, Martin Margiela...
Et l'Eternity Dress devient chaque robe : le corps fait la robe mais la robe fait aussi le corps, comme un geste artistique qui donne forme au vivant.
Non loin de l'amphithéâtre des Beaux-Arts où a lieu la performance, on perçoit la présence des modèles vivants, collections de plâtres académiques et moules.