Grace Savage accompagne en ce moment le spectacle de Sylvie Guillem Life in Progress.
Regardez la improviser ici sur la scène de Wilton's, le plus vieux music hall de Londres, récemment rénové.
Grace Savage accompagne en ce moment le spectacle de Sylvie Guillem Life in Progress.
Regardez la improviser ici sur la scène de Wilton's, le plus vieux music hall de Londres, récemment rénové.
Leave on the right, Coldharbour Lane
Left into Denmark Hill
Forward Camberwell Road
Forward Walworth Road
Comply Elephant and Castle
Leave by Newington Causeway
Forward Borough High Street
Forward over London Bridge
Forward into King William Street
Forward Lombard Street
Forward Bank Junction
Forward Prince’s Street
Forward Moorgate
Forward Finsbury Pavement
Forward Finsbury Square
Forward City Road
Comply Old Street roundabout
Leave by City Road continued
Right Provost Street
Right Vestry Street
Left into East Road
Forward New North Road
Forward Canonbury Road
Comply Highbury Corner
Leave by Holloway Road
Right Drayton Park
Set down on the left
Une liste de noms de rue, dite à toute allure, c'est l'effet que déclenche chez un apprenti chauffeur de taxi londonien un examinateur en lui demandant de décrire un trajet d'un point à un autre. Et ces deux points à relier peuvent fort bien n'être que deux simples pubs car l'aspirant cabbie ne doit pas seulement connaître toutes les rues et les sens de circulation dans un rayon de dix kilomètres autour de la statue équestre de Charles I à Charring Cross - et cela en fait 25 000 à retenir - mais aussi tous les parcs et jardins, tous les bâtiments officiels, tous les lieux de culte, tous les équipements sportifs, tous les hôtels, tous les cinémas et théâtres, tous les musées et galeries d'art, toutes les écoles, toutes les pharmacies, tous les sièges d'entreprise, tous les établissements universitaires, tous les commissariats de police, toutes les boutiques, tous les restaurants, tous les pubs, bref tout endroit public où un client pourrait vouloir aller. Cet examen, le plus difficile au monde, s'appelle The Knowledge ; il réclame trois à quatre ans d'apprentissage sept jours sur sept et des capacités de mémorisation si poussées qu'elles provoquent des modifications neurologiques.
Ce qui est réclamé du candidat est bien une connaissance totale de la ville. Elle associe deux opérations de saisie de l'espace bien distinctes : l'une, fondée sur les flux, les itinéraires, la circulation et donc aussi le temps ; l'autre fondée sur les lieux, la stabilité, les frontières, une configuration de positions, un paysage visuel (streetscape). Il s'ensuit une structuration de l'apprentissage autour de deux principaux exercices : the run, qui consiste à établir des trajets le plus rapidement possible face à un partenaire d'entraînement et à mesurer ensuite leur longueur sur une carte grâce à une ficelle de coton ; le pointing, un repérage zone par zone effectué en vélo ou en scooter, gilet fluorescent, carte sous une protection de plexiglas, à l'affut du moindre détail (Il n'est pas rare d'en croiser).
Tout candidat, testé à intervalles réguliers par des examinateurs redoutés, doit se tenir prêt à répondre à de terrifiantes questions : la localisation de telle laverie automatique ou pire encore de telle petite sculpture apposée sur une façade représentant deux souris se disputant un bout de fromage. Les examinateurs doivent, bien entendu, eux-mêmes se former en permanence afin d'être à la hauteur du défi qu'impose cette ville immense en perpétuel chantier.
A l'heure du GPS et de la concurrence des véhicules de tourisme avec chauffeur, s'astreindre à suivre le chemin de croix que constitue The Knowledge n'est pas autre chose que de déclarer son amour à Londres.
Tout cela, vous le comprendrez en lisant l'article magistral que Jody Rosen a consacré à The Knowledge pour le T Magazine du New York Times : une enquête de sept pages qui procure un rare plaisir de lecture.
A Wapping, quartier de l'Est de Londres longeant la Tamise, on découvre, passé un mur de brique, une place enchanteresse, morceau intact du XIXe siècle tout droit sorti d'un roman de Dickens : à gauche, un pub, The Turk's Head, recouvert de carreaux de faïence, une église de briques puis sa charity school fondée au XVIIIe siècle, où se nichent deux bluecoats, en face, un entrepôt, Oliver's Wharf, à droite un charmant cimetière aux tombes moussues surplombé par un marronnier pluricentenaire.
Belle impression qui n'est qu'illusion :
Le pub a été déplacé de la rue principale à son emplacement actuel en 1927 et n'est plus un pub mais un community cafe ;
De l'église, il n'est resté que la tour après la chute d'une bombe incendiaire allemande et son corps reconstruit sert de logements tout comme l'école attenante ;
L'entrepôt a été le premier à Wapping à être reconverti en logements de luxe au début des années 1970. Son apparence ripolinée n'a bien évidemment rien à voir avec ce qu'il était lorsqu'à la fin du XIXe siècle, il abritait des cargaisons de thé dans ce quartier qui était l'un des plus pauvres de Londres, couvert de suie, empli du tumulte incessant des grues de déchargement, des cris des dockers, des roulements de chariots, des pleurs d'enfants malades, des chansons des marins ivres.
Mais le silence comme le vide laisse place à l'imagination.
Une prairie suspendue de près de 5 000 fleurs : une installation créée par Rebecca Louise Law pour l'exposition Fashion and Gardens du ravissant Garden Museum, installé dans une ancienne église sur les bords de la Tamise non loin de Lambeth Palace.
L'énergie qu'insuffle Londres tient sans doute en grande partie aux grues dont elle est hérissée : ville ayant su renaître deux fois de ses cendres, ville en chantier, ville audacieuse poussant à la verticale, ville vivante échappant à la muséification. La skyline se peuple de nouveaux gratte-ciel aux formes étonnantes et discordantes, à quelques mètres des plus anciens monuments historiques, au gré des choix des promoteurs privés. Chose impensable à Paris.
Ici, point de zone protégée qui imposerait des règles de construction drastiques dans un rayon déterminé autour d'un monument historique mais des couloirs de vue à préserver : la perspective sur la cathédrale St Paul, la Tour de Londres et Westminster doit rester dégagée depuis certains parcs et espaces publics. Ainsi faut-il que Saint Paul soit visible à travers deux rangées d'arbres depuis le point le plus haut de Richmond Park, à trois heures de marche, alors qu'un centre commercial conçu par Jean Nouvel a pu être construit à quelques dizaines de mètres de son chevet.
Une vision de la ville proche des vues cavalières des cartes anciennes, regard porté par un œil céleste ou par les oiseaux.
Dans l'immensité de Londres, un motif urbain se répète : le square. Rectangle de verdure enclos de grilles auquel seuls les habitants des immeubles qui le bordent ont accès. Sa forme typique pourrait être celle que l'on rencontre dans le West End, avec ces rangées d'immeubles blancs à colonnades dont la monotonie n'ennuie jamais car les Anglais s'entendent à merveille pour se distinguer de leurs voisins, discrètement mais efficacement, que cela soit par une porte d'une couleur plus éclatante ou une jardinière plus exubérante.
A la limite de Clerkenwell et de la City, il en est un particulièrement remarquable : Charterhouse Square. Outre sa beauté intrinsèque et son atmosphère apaisante, son charme repose sur l'intensité de la charge historique dont il irradie. A quelques mètres autour du parallélépipède vert magnetique, une chartreuse du XIVe siècle, St Bartholomew The Great, l'une des plus anciennes églises de Londres, Cloth Fair, petit carré d'immeubles elizabethains ayant survécu au Grand incendie de 1666, les magnifiques halles victoriennes de Smithfield, qui est encore l'un des plus importants marchés de viande d'Europe, Florin Court, fleuron de l'architecture art déco, qui n'aurait pas déparé la sélection de Thibaud Herem pour London Deco, et demeure de l'Hercule Poirot incarné par David Suchet, le Barbican Centre construit sur les ruines d'une zone dévastée par le Blitz.
Cette liste chronologique ne reflète évidemment par l'ordre dans lequel apparaissent ces différents bâtiments. Il faut imaginer des éclats discontinus, entrecoupés d'immeubles plus récents et de chantiers, le dernier en date étant celui, énorme, de Crossrail, le train souterrain qui reliera l'est à l'ouest de l'agglomération londonienne grâce à un tunnel de plus de quarante kilomètres dont le creusement est actuellement le plus grand projet d'ingénierie civile d'Europe. Dans l'excavation de Charterhouse, nœud du réseau non loin de la gare de Farringdon, les ouvriers ont découvert il y a un mois des squelettes d'hommes, de femmes et d'enfants victimes de la Grande Peste. Ceux-ci ont été momentanément entreposés dans la chartreuse médiévale de Charterhouse, comme si une boucle se bouclait à travers les strates de sept siècles de l'histoire d'une ville.
Effet de zoom : la Tamise, vue de près et de loin en l'espace d'une heure, des grèves à marée basse pleines de trésors de Wapping au sommet du Shard de Renzo Piano, le plus haut gratte-ciel d'Europe.
D'autres vues aériennes de Londres, issues des archives de la société Aerofilms, de 1919 à 1953 : Britain from Above,
A court d'idées pour les cadeaux de Noël de vos amis monstres ? Tournez-vous vers les Hoxton Street Monster Supplies.
Des manteaux d'invisibilité en potions aux ingredients les plus répugnants (j'adore la suggestion de la "sueur de colibri"ici dans la boutique éphémère de Somerset House), vous trouverez tout ce qu'il vous faut dans un design sobre et élégant.
Une succulente célébration du pouvoir des mots.
La boutique cache d'ailleurs une annexe de l'enthousiasmant Ministry of Stories.
Au BAL, dans la première salle de la retrospective consacrée à Chris Killip, What Happened, une citation de Diane Arbus
« Si vous observez la réalité d'assez près, si d'une façon ou d'une autre vous la découvrez vraiment, la réalité devient fantastique. »
happe le visiteur vers une petite salle obscure où il découvre les images d'un coin de rue filmée en noir et blanc. Une voix masculine donne des directives : "Faites reculer la remorque vers la gauche", "Je veux que la fillette traverse en courant. Maintenant", "Dépêchez-vous". Elle semble diriger le moindre des mouvements visibles : d'un imperceptible sourire à la main qui porte la cigarette à la bouche. Un documentaire sur un tournage de film dans le Londres des années 70, se dit-on - on voit des bus passer et les gens sont vêtus de pattes d'eph.
Au bout de quelques minutes, quelque chose fait qu' il devient évident que cette voix a été plaquée a posteriori sur les faits et gestes des passants. On sourit de ce jeu sur la toute puissance du langage, capable de soumettre le réel à la volonté du commentateur.
Le jeu ne s'arrête pas là. Progressivement, l'impératif glisse vers une plate énumération : "garçon, voiture, van, mère tenant fermement la main de ses garçons". Puis, le commentaire jusque là neutre introduit l'idée de causalité dans les actions en train de se faire : un tel rentre chez lui, tel autre va à la banque. Et très vite la machine s'emballe jusqu'à l'absurde, s'engouffrant dans l'écart ténu entre la réalité et la fiction. Je vous laisse découvrir comment en regardant la vidéo, que vous trouverez sous-titrée en français ici.
Cette merveille est l’œuvre du cinéaste expérimental anglais John Smith. Il eut l'idée de ce tournage de rue en regardant les préparatifs à la fausse neige dans La nuit américaine de Truffaut. Il partit de ce principe tout simple mais remarquablement efficace : d'abord tourner de manière plus ou moins improvisée ce coin de rue animée du faubourg londonien de Dalston, où il habitait, puis mettre en scène dans un second temps afin de mettre à l'épreuve le pouvoir de la narration, fortement décriée dans les années 70.
Bien belle manière, pour paraphraser Perec, d'interroger "ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, l’infra-ordinaire, le bruit de fond, l’habituel" et de l'inventer.
John Smith. The Girl Chewing Gum (1976), 12mn, 16mm.
Au BAL, jusqu'au 19 août.