St John's Churchyard, Wapping

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A Wapping, quartier de l'Est de Londres longeant la Tamise, on découvre, passé un mur de brique, une place enchanteresse, morceau intact du XIXe siècle tout droit sorti d'un roman de Dickens  : à  gauche,  un pub, The Turk's Head, recouvert de carreaux de faïence,  une église de briques puis  sa charity school  fondée au XVIIIe siècle, où se nichent deux bluecoats,  en face, un  entrepôt,  Oliver's Wharf,  à droite un charmant cimetière aux tombes moussues surplombé par un marronnier pluricentenaire.

Belle impression qui n'est qu'illusion :

Le pub a été déplacé de la rue principale à son emplacement actuel en 1927 et n'est plus un pub mais un community cafe ;

 De l'église, il n'est resté que la tour après la chute d'une bombe incendiaire allemande et son corps reconstruit sert de logements tout comme l'école attenante ;

 L'entrepôt a été le premier à Wapping à être reconverti en logements de luxe au début des années 1970. Son apparence ripolinée n'a bien évidemment rien à voir avec ce qu'il était lorsqu'à la fin du XIXe siècle, il abritait des cargaisons de thé dans ce quartier qui était l'un des plus pauvres de Londres, couvert de suie, empli du tumulte incessant des grues de déchargement,  des cris des dockers, des roulements de chariots, des pleurs d'enfants malades, des chansons des marins ivres.

Mais le silence comme le vide laisse place à l'imagination.

Vue d'oiseau

The Long View from Bankside , 1647,  par  Wenceslaus Hollar. British Museum. Détail.

The Long View from Bankside , 1647,  par  Wenceslaus Hollar. British Museum. Détail.

The Long View from Bankside , 1647,  par  Wenceslaus Hollar. British Museum. Détail.

The Long View from Bankside , 1647,  par  Wenceslaus Hollar. British Museum. Détail.

The Long View from Bankside , 1647,  par  Wenceslaus Hollar. British Museum. Détail.

The Long View from Bankside , 1647,  par  Wenceslaus Hollar. British Museum. Détail.

 

L'énergie qu'insuffle Londres tient sans doute en grande partie aux grues dont elle est hérissée : ville ayant su renaître deux fois de ses cendres, ville en chantier, ville audacieuse poussant à la verticale, ville vivante échappant à la muséification.  La skyline se peuple de nouveaux gratte-ciel aux formes étonnantes et discordantes, à quelques mètres des plus anciens monuments historiques, au gré des choix des promoteurs privés. Chose impensable à Paris.

Ici, point de zone protégée qui imposerait des règles de construction drastiques dans un rayon déterminé autour d'un monument historique mais des couloirs de vue à préserver : la perspective sur la  cathédrale St Paul, la Tour de Londres et Westminster doit rester dégagée depuis certains parcs et espaces publics.  Ainsi faut-il que Saint Paul soit visible à travers deux rangées d'arbres depuis le point le plus haut de Richmond Park, à trois heures de marche, alors qu'un centre commercial conçu par Jean Nouvel a pu être construit à quelques dizaines de mètres de son chevet.

Une vision de la ville proche des vues cavalières des cartes anciennes,  regard porté par un œil céleste ou par les oiseaux.

 
Couloirs de vue protégés  définis par le London View Management Framework.

Couloirs de vue protégés  définis par le London View Management Framework.

La cathédrale Saint Paul, telle qu'elle doit apparaître selon le plan urbain, depuis le King Henry's Mound, point le plus haut du parc  de Richmond, situé à trois heures de marche.

La cathédrale Saint Paul, telle qu'elle doit apparaître selon le plan urbain, depuis le King Henry's Mound, point le plus haut du parc  de Richmond, situé à trois heures de marche.

Charterhouse Square

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Carte de 1873 avec le projet de voie de chemin de fer. London Metropolitan Archives.

Carte de 1873 avec le projet de voie de chemin de fer. London Metropolitan Archives.

 

Dans l'immensité de Londres, un motif urbain se répète : le square. Rectangle de verdure enclos de grilles auquel seuls les habitants des immeubles qui le bordent ont accès. Sa forme typique pourrait être celle que l'on rencontre dans le West End, avec ces rangées d'immeubles blancs à colonnades dont la monotonie n'ennuie jamais car les Anglais s'entendent à merveille pour se distinguer de leurs voisins, discrètement mais efficacement, que cela soit par une porte d'une couleur plus éclatante ou une jardinière plus exubérante.

A la limite de Clerkenwell et de la City, il en est un particulièrement remarquable : Charterhouse Square.  Outre sa beauté intrinsèque et son atmosphère apaisante, son charme repose sur l'intensité de la charge historique dont il irradie. A quelques mètres autour du parallélépipède vert magnetique, une chartreuse du XIVe siècle,  St Bartholomew The Great, l'une des plus anciennes églises de Londres, Cloth Fair, petit carré d'immeubles elizabethains ayant survécu au Grand incendie de 1666, les magnifiques halles victoriennes de Smithfield, qui est encore l'un des plus importants  marchés de viande d'Europe, Florin Court, fleuron de l'architecture art déco, qui n'aurait pas déparé la sélection de Thibaud Herem pour London Deco, et demeure de l'Hercule Poirot incarné par David Suchet, le Barbican Centre construit sur les ruines d'une zone dévastée par le Blitz.

Cette liste chronologique ne reflète évidemment par l'ordre dans lequel apparaissent ces différents bâtiments. Il faut imaginer des éclats discontinus, entrecoupés d'immeubles plus récents et de chantiers, le dernier en date étant celui, énorme, de Crossrail, le train souterrain qui reliera l'est à l'ouest de l'agglomération londonienne grâce à un tunnel de plus de quarante kilomètres dont le creusement est actuellement le plus grand projet d'ingénierie civile d'Europe. Dans l'excavation de Charterhouse, nœud du réseau non loin de la gare de Farringdon, les ouvriers ont découvert il y a un mois des squelettes d'hommes, de femmes et d'enfants victimes de la Grande Peste. Ceux-ci ont été momentanément entreposés dans la chartreuse médiévale de Charterhouse, comme si une boucle se bouclait à travers les strates de sept siècles de l'histoire d'une ville.

 

La Tamise : de près, de loin

Trésors récoltés à Wapping sur un zinc peint par Anne de Seynes 

 

 

Effet de zoom : la Tamise, vue de près et de loin en l'espace d'une heure,  des grèves à marée basse pleines de trésors de Wapping au sommet du Shard de Renzo Piano, le plus haut gratte-ciel d'Europe.

 

 

D'autres vues aériennes de Londres, issues des archives de la société Aerofilms, de 1919 à 1953 :  Britain from Above,

Quality Goods for Monster of Every Kind

A court d'idées pour les cadeaux de Noël de vos amis monstres ? Tournez-vous vers les Hoxton Street Monster Supplies.

Des manteaux d'invisibilité en potions aux ingredients les plus répugnants (j'adore la suggestion de la "sueur de colibri"ici dans la boutique éphémère  de Somerset House), vous trouverez tout ce qu'il vous faut dans un design sobre et élégant.

Une succulente célébration du pouvoir des mots.

La boutique cache d'ailleurs une annexe de l'enthousiasmant Ministry of Stories.

 

The Girl Chewing Gum

 

Au BAL, dans la première salle de la retrospective consacrée à Chris Killip, What Happened, une citation de Diane Arbus

« Si vous observez la réalité d'assez près, si d'une façon ou d'une autre vous la découvrez vraiment, la réalité devient fantastique. »

happe le visiteur vers une petite salle obscure où il découvre les images d'un coin de rue filmée en noir et blanc. Une voix masculine donne des directives : "Faites reculer la remorque vers la gauche", "Je veux que la fillette traverse en courant. Maintenant", "Dépêchez-vous". Elle semble diriger le moindre des mouvements visibles : d'un imperceptible sourire à la main qui porte la cigarette à la bouche. Un documentaire sur un tournage de film dans le Londres des années 70, se dit-on  - on voit des bus passer et les gens sont vêtus de pattes d'eph.

Au bout de quelques minutes, quelque chose fait qu' il devient évident que cette voix a été plaquée a posteriori sur les faits et gestes des passants. On  sourit de ce jeu sur la toute puissance du langage, capable de soumettre le réel à la volonté du commentateur.

Le jeu ne s'arrête pas là. Progressivement, l'impératif glisse vers une plate énumération : "garçon, voiture, van, mère tenant fermement la main de ses garçons". Puis, le commentaire jusque là neutre introduit l'idée de causalité dans les actions en train de se faire : un tel rentre chez lui, tel autre va à la banque. Et très vite la machine s'emballe jusqu'à l'absurde, s'engouffrant dans l'écart ténu entre la réalité et la fiction. Je vous laisse découvrir comment en regardant la vidéo, que vous trouverez sous-titrée en français ici.

Cette merveille est l’œuvre du cinéaste expérimental anglais John Smith. Il eut l'idée de ce tournage de rue en regardant les préparatifs à la fausse neige dans La nuit américaine de Truffaut. Il partit de ce principe tout simple mais remarquablement efficace : d'abord tourner de manière plus ou moins improvisée  ce coin de rue animée du faubourg londonien de Dalston, où il habitait, puis mettre en scène dans un second temps afin de mettre à l'épreuve le pouvoir de la narration, fortement décriée dans les années 70.

Bien belle manière, pour paraphraser Perec, d'interroger "ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, l’infra-ordinaire, le bruit de fond, l’habituel" et de l'inventer.

 

 

 

John Smith. The Girl Chewing Gum (1976), 12mn, 16mm.

Au BAL, jusqu'au 19 août.