Theatre of War

Cecil Beaton, collections de l'Imperial War Museum. Marin du HMS Alcantara recousant un pavillon, mars 1942 (CBM 1049)

débris de tanks allemands  Sidi Rezegh en Libye (CMB 2494). IWM

tempête de sable, Afrique du Nord,( CBM 1358) IMW

portrait de la reine Fawzieh, première femme du Shah, Teheran

debriefing d'une escadrille de la RAF après une attaque nocturne sur l'Allemagne, 1941 (D 4750)

Saint Paul en ruines vu de la devanture d'une boutique victorienne, Londres, 1940.

 

L'Imperial War Museum de Londres, en pleine réfection, consacre une exposition aux photographies de guerre de Cecil Beaton, judicieusement intitulée Theatre of War.

Quand en 1940,  Cecil Beaton, frivole papillon de la haute société britannique, photographe de studio aux mises en scène sophistiquées, habitué des plateaux de cinéma de Hollywood, est engagé par le ministère de l'information comme photographe de guerre, d'aucuns auraient pu penser que les batailles, les destructions, les bombardements, la souffrance et les morts, allaient contribuer à changer profondément son style ? Eh bien non ! Jugez-en vous-même en parcourant les collections ici.

Beaton traverse la guerre sans montrer une goutte du sang alors qu'il a côtoyé corps en charpie, désolation et chaos. De Londres sous les bombes aux champs de bataille de l'Afrique du Nord, en passant par le Moyen-Orient, l'Inde, la Birmanie et la Chine, il fait du monde une vaste scène de théâtre. Ses portraits sont posés comme des photos de mode, le cadrage est extrêmement travaillé : les détritus de tanks de Rommel sont esthétisés à outrance, les debriefings de la RAF semblent sortis d'un film noir, les ruines du Blitz sont traitées comme un décor de scène. Et que dire des soldats qui sont autant de corps glamourisés et  érotisés ?  De son attirance, il ne cache rien. Tout cela sans aucune réaction de sa hiérarchie. Il est vrai que son remarquable sens de la mise en scène lui aura permis de produire des clichés redoutablement efficaces au service de la propagande. La photo de la petite victime des raids aérien Eileen Dunne sur son lit d'hôpital fera le tour du monde et aura un grand impact sur l'opinion publique américaine avant l'entrée en guerre des Etats-Unis, elle fera même la couverture de Life

Sa capacité à voir le beau partout aurait-elle pu trouver des limites ? Était-ce une forme de résistance ou de déni ?

 

 

Cecil Beaton, collections de l'Imperial War Museum. Marin du HMS Alcantara recousant un pavillon, mars 1942 (CBM 1049) ;  débris de tanks allemands  Sidi Rezegh en Libye (CMB 2494); tempête de sable, Afrique du Nord,( CBM 1358); portrait de la reine Fawzieh, première femme du Shah, Teheran ; debriefing d'une escadrille de la RAF après une attaque nocturne sur l'Allemagne, 1941 (D 4750); Saint Paul en ruines vu de la devanture d'une boutique victorienne, Londres, 1940.


 

 

 

The Girl Chewing Gum

 

Au BAL, dans la première salle de la retrospective consacrée à Chris Killip, What Happened, une citation de Diane Arbus

« Si vous observez la réalité d'assez près, si d'une façon ou d'une autre vous la découvrez vraiment, la réalité devient fantastique. »

happe le visiteur vers une petite salle obscure où il découvre les images d'un coin de rue filmée en noir et blanc. Une voix masculine donne des directives : "Faites reculer la remorque vers la gauche", "Je veux que la fillette traverse en courant. Maintenant", "Dépêchez-vous". Elle semble diriger le moindre des mouvements visibles : d'un imperceptible sourire à la main qui porte la cigarette à la bouche. Un documentaire sur un tournage de film dans le Londres des années 70, se dit-on  - on voit des bus passer et les gens sont vêtus de pattes d'eph.

Au bout de quelques minutes, quelque chose fait qu' il devient évident que cette voix a été plaquée a posteriori sur les faits et gestes des passants. On  sourit de ce jeu sur la toute puissance du langage, capable de soumettre le réel à la volonté du commentateur.

Le jeu ne s'arrête pas là. Progressivement, l'impératif glisse vers une plate énumération : "garçon, voiture, van, mère tenant fermement la main de ses garçons". Puis, le commentaire jusque là neutre introduit l'idée de causalité dans les actions en train de se faire : un tel rentre chez lui, tel autre va à la banque. Et très vite la machine s'emballe jusqu'à l'absurde, s'engouffrant dans l'écart ténu entre la réalité et la fiction. Je vous laisse découvrir comment en regardant la vidéo, que vous trouverez sous-titrée en français ici.

Cette merveille est l’œuvre du cinéaste expérimental anglais John Smith. Il eut l'idée de ce tournage de rue en regardant les préparatifs à la fausse neige dans La nuit américaine de Truffaut. Il partit de ce principe tout simple mais remarquablement efficace : d'abord tourner de manière plus ou moins improvisée  ce coin de rue animée du faubourg londonien de Dalston, où il habitait, puis mettre en scène dans un second temps afin de mettre à l'épreuve le pouvoir de la narration, fortement décriée dans les années 70.

Bien belle manière, pour paraphraser Perec, d'interroger "ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, l’infra-ordinaire, le bruit de fond, l’habituel" et de l'inventer.

 

 

 

John Smith. The Girl Chewing Gum (1976), 12mn, 16mm.

Au BAL, jusqu'au 19 août.