Pastorale alentejane

 

 

Dans l'immensité des plaines rurales de l'Alentejo, chênes-lièges et moutons ponctuent le paysage presque monochrome en été. Les villages, régulièrement blanchis à la chaux,  ne semblent jamais vieillir, les cigognes volent au-dessus des champs moissonnés et l'écorce des chênes démasclés se reconstitue dans un silence à peine troublé par les clochettes des troupeaux gardés par de vieux bergers en chemises à manches longues. Bâton à la main, chiens à leur pied,  à quoi occupent-ils donc leur esprit ? Quelle discipline mentale se sont-ils forgée ? Leur arrivent-ils de fredonner un chant communiste dans cette terre marquée par l'opposition au salazarisme et les luttes des ouvriers agricoles pour la réforme agraire ? Qu'imaginent-ils lorsqu'ils fixent l'horizon ? Comment atteignent-ils cette immobilité contemplative ?

 

Arbre vagabond

L'Arbre vagabond, bar à vins-librarie, au lieu-dit Cheyne, sur la commune du Chambon-sur-Lignon

L'Arbre vagabond, bar à vins-librarie, au lieu-dit Cheyne, sur la commune du Chambon-sur-Lignon

L'Arbre vagabond, bar à vins-librarie, au lieu-dit Cheyne, sur la commune du Chambon-sur-Lignon

L'Arbre vagabond, bar à vins-librarie, au lieu-dit Cheyne, sur la commune du Chambon-sur-Lignon

L'Arbre vagabond, bar à vins-librarie, au lieu-dit Cheyne, sur la commune du Chambon-sur-Lignon

L'Arbre vagabond, bar à vins-librarie, au lieu-dit Cheyne, sur la commune du Chambon-sur-Lignon

L'Arbre vagabond, bar à vins-librarie, au lieu-dit Cheyne, sur la commune du Chambon-sur-Lignon

L'Arbre vagabond, bar à vins-librarie, au lieu-dit Cheyne, sur la commune du Chambon-sur-Lignon

L'Arbre vagabond, bar à vins-librarie, au lieu-dit Cheyne, sur la commune du Chambon-sur-Lignon :

L'Arbre vagabond, bar à vins-librarie, au lieu-dit Cheyne, sur la commune du Chambon-sur-Lignon :

 

Sur  les terres agricoles du plateau du Vivarais-Lignon, au lieu-dit Cheyne de la commune du Chambon-sur-Lignon,  une école primaire publique est construite en 1913 pour les enfants des fermes alentours,   robustes constructions en pierre volcanique recouvertes de toits de lauze, comptant parfois un cimetière privé protestant, disséminées  à mille mètres d'altitude  entre bois de pins et de mélèzes, près piqués d'épilobes, chemins bordés de genêts, avec pour horizon une ligne sinueuse de volcans. Moins dix en hiver.

En 1978, Martine Mellinette et Jean-François Manier font le pari d'installer leur maison d'édition-imprimerie dans les locaux désaffectés de l'école : ce sera Cheyne. Belle aventure, maintenant trentenaire :  un catalogue de 300 titres de poésie et de littérature contemporaines, des rencontres annuelles, les Lectures sous l'arbre. Si la Bibliothèque nationale et l'Orangerie du Sénat lui ont consacré des expositions, c'est qu'il s'agit d'un exemple rare d'exigence et de volonté de partage du beau intégrant toutes les étapes de la chaîne éditoriale,  de la rencontre avec les auteurs jusqu'à la diffusion, en passant par la conception, le choix des papiers, la mise au point d'encres de couleurs,  l'impression sur presses à plombs, le brochage, la reliure.

Depuis le mois de mai dernier, le bâtiment a changé d'affectation après quelques travaux. Les machines et l'atelier de la maison d'édition ont été déplacés non loin pour laisser place à L' Arbre vagabond, un bar à vins librairie conçu par Jean-François Manier et son fils, Simon. Au fracas des presses ont succédé le rire des convives aux joues rosies par des crus choisis et les pas feutrés des curieux qui flânent entre les cinq espaces meublés de confortables sièges  :  ailleurs - voyages à pied et dans la tête ; comprendre et refaire le monde - histoire, engagements et luttes ; poésie - la belle aventure ; le livre, dernier refuge de l'homme libre; affaire de goûts - cuisine, vins, érotisme - où l'armoire grise de la salle de classe a été malicieusement repeinte d'un rouge capiteux.

Inutile de vous dire comme l'on s'y sent bien. Là, le temps semble s'écouler autrement. Le temps du livre, de la lecture, dans une émouvante continuité avec les premiers apprentissages qu'abritait l'école cent ans auparavant.

* * * * * * *

Belles expériences du temps à vous,

 

Au mois de septembre,

 

Florizelle

 

 

 

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L'Arbre vagabond, bar à vins-librarie, au lieu-dit Cheyne, sur la commune du Chambon-sur-Lignon. Toile de Jean-Pierre Schneider.

L'Arbre vagabond, bar à vins-librarie, au lieu-dit Cheyne, sur la commune du Chambon-sur-Lignon. Toile de Jean-Pierre Schneider.

Un cimetière privé protestant près d'une ferme  au Chambon-sur-Lignon

Un cimetière privé protestant près d'une ferme  au Chambon-sur-Lignon

Boîtes mystère

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Sur le port de Rotterdam, des milliers et milliers de containers attendent d'être distribués par voies fluviale, routière et ferroviaire vers l'hinterland européen. Déchargés par des grues automatisées, acheminés par des camions guidés par ordinateur, ils forment des architectures aléatoires dont on reconnaît ça et là quelques couleurs spécifiques à certains armateurs.

Mais leur opacité conserve entier le mystère de leur contenu, qui représente 90 % des produits que nous achetons. A l'exception des matières inflammables et toxiques et des produits réfrigérés, les équipages et le capitaine mêmes du cargo- une vingtaine d'hommes pour des chargements allant jusqu'à 7000 boîtes-  qui les aura conduits à bon port au terme de plusieurs semaines de navigation ne savent rien des marchandises qu'ils renferment. Le container est un parallélépipède de fer dont ils n'ont à connaître que le poids pour calculer le centre de gravité et le centre de carène afin d'équilibrer le chargement.

Une invisibilité qui laisse de quoi spéculer sur bien des trafics.

 

 

Sardinhas

 

 

Lisbonne au début du mois de juin est non seulement illuminée par les jacarandas et les bougainvillées en fleurs mais parée de guirlandes, banderoles, lampions et lanternes. Chaque quartier est en fête avant et après le 13 juin, jour de la saint Antoine, patron de la ville. On lui dresse des  autels aux fenêtres et à l'intérieur des maisons (trono de santo antonio ) et les amoureux s'offrent un pot de basilic (manjerico) piqué d'un œillet de papier accompagné d'un quatrain.

L'odeur des sardines grillées se mêle au parfum miellé des tilleuls,  un fado chanté par Beatriz da Conceição se fait entendre au loin avant que le bal ne commence, à la nuit tombée.

 

 

St John's Churchyard, Wapping

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A Wapping, quartier de l'Est de Londres longeant la Tamise, on découvre, passé un mur de brique, une place enchanteresse, morceau intact du XIXe siècle tout droit sorti d'un roman de Dickens  : à  gauche,  un pub, The Turk's Head, recouvert de carreaux de faïence,  une église de briques puis  sa charity school  fondée au XVIIIe siècle, où se nichent deux bluecoats,  en face, un  entrepôt,  Oliver's Wharf,  à droite un charmant cimetière aux tombes moussues surplombé par un marronnier pluricentenaire.

Belle impression qui n'est qu'illusion :

Le pub a été déplacé de la rue principale à son emplacement actuel en 1927 et n'est plus un pub mais un community cafe ;

 De l'église, il n'est resté que la tour après la chute d'une bombe incendiaire allemande et son corps reconstruit sert de logements tout comme l'école attenante ;

 L'entrepôt a été le premier à Wapping à être reconverti en logements de luxe au début des années 1970. Son apparence ripolinée n'a bien évidemment rien à voir avec ce qu'il était lorsqu'à la fin du XIXe siècle, il abritait des cargaisons de thé dans ce quartier qui était l'un des plus pauvres de Londres, couvert de suie, empli du tumulte incessant des grues de déchargement,  des cris des dockers, des roulements de chariots, des pleurs d'enfants malades, des chansons des marins ivres.

Mais le silence comme le vide laisse place à l'imagination.

Vue d'oiseau

The Long View from Bankside , 1647,  par  Wenceslaus Hollar. British Museum. Détail.

The Long View from Bankside , 1647,  par  Wenceslaus Hollar. British Museum. Détail.

The Long View from Bankside , 1647,  par  Wenceslaus Hollar. British Museum. Détail.

The Long View from Bankside , 1647,  par  Wenceslaus Hollar. British Museum. Détail.

The Long View from Bankside , 1647,  par  Wenceslaus Hollar. British Museum. Détail.

The Long View from Bankside , 1647,  par  Wenceslaus Hollar. British Museum. Détail.

 

L'énergie qu'insuffle Londres tient sans doute en grande partie aux grues dont elle est hérissée : ville ayant su renaître deux fois de ses cendres, ville en chantier, ville audacieuse poussant à la verticale, ville vivante échappant à la muséification.  La skyline se peuple de nouveaux gratte-ciel aux formes étonnantes et discordantes, à quelques mètres des plus anciens monuments historiques, au gré des choix des promoteurs privés. Chose impensable à Paris.

Ici, point de zone protégée qui imposerait des règles de construction drastiques dans un rayon déterminé autour d'un monument historique mais des couloirs de vue à préserver : la perspective sur la  cathédrale St Paul, la Tour de Londres et Westminster doit rester dégagée depuis certains parcs et espaces publics.  Ainsi faut-il que Saint Paul soit visible à travers deux rangées d'arbres depuis le point le plus haut de Richmond Park, à trois heures de marche, alors qu'un centre commercial conçu par Jean Nouvel a pu être construit à quelques dizaines de mètres de son chevet.

Une vision de la ville proche des vues cavalières des cartes anciennes,  regard porté par un œil céleste ou par les oiseaux.

 
Couloirs de vue protégés  définis par le London View Management Framework.

Couloirs de vue protégés  définis par le London View Management Framework.

La cathédrale Saint Paul, telle qu'elle doit apparaître selon le plan urbain, depuis le King Henry's Mound, point le plus haut du parc  de Richmond, situé à trois heures de marche.

La cathédrale Saint Paul, telle qu'elle doit apparaître selon le plan urbain, depuis le King Henry's Mound, point le plus haut du parc  de Richmond, situé à trois heures de marche.

Charterhouse Square

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Carte de 1873 avec le projet de voie de chemin de fer. London Metropolitan Archives.

Carte de 1873 avec le projet de voie de chemin de fer. London Metropolitan Archives.

 

Dans l'immensité de Londres, un motif urbain se répète : le square. Rectangle de verdure enclos de grilles auquel seuls les habitants des immeubles qui le bordent ont accès. Sa forme typique pourrait être celle que l'on rencontre dans le West End, avec ces rangées d'immeubles blancs à colonnades dont la monotonie n'ennuie jamais car les Anglais s'entendent à merveille pour se distinguer de leurs voisins, discrètement mais efficacement, que cela soit par une porte d'une couleur plus éclatante ou une jardinière plus exubérante.

A la limite de Clerkenwell et de la City, il en est un particulièrement remarquable : Charterhouse Square.  Outre sa beauté intrinsèque et son atmosphère apaisante, son charme repose sur l'intensité de la charge historique dont il irradie. A quelques mètres autour du parallélépipède vert magnetique, une chartreuse du XIVe siècle,  St Bartholomew The Great, l'une des plus anciennes églises de Londres, Cloth Fair, petit carré d'immeubles elizabethains ayant survécu au Grand incendie de 1666, les magnifiques halles victoriennes de Smithfield, qui est encore l'un des plus importants  marchés de viande d'Europe, Florin Court, fleuron de l'architecture art déco, qui n'aurait pas déparé la sélection de Thibaud Herem pour London Deco, et demeure de l'Hercule Poirot incarné par David Suchet, le Barbican Centre construit sur les ruines d'une zone dévastée par le Blitz.

Cette liste chronologique ne reflète évidemment par l'ordre dans lequel apparaissent ces différents bâtiments. Il faut imaginer des éclats discontinus, entrecoupés d'immeubles plus récents et de chantiers, le dernier en date étant celui, énorme, de Crossrail, le train souterrain qui reliera l'est à l'ouest de l'agglomération londonienne grâce à un tunnel de plus de quarante kilomètres dont le creusement est actuellement le plus grand projet d'ingénierie civile d'Europe. Dans l'excavation de Charterhouse, nœud du réseau non loin de la gare de Farringdon, les ouvriers ont découvert il y a un mois des squelettes d'hommes, de femmes et d'enfants victimes de la Grande Peste. Ceux-ci ont été momentanément entreposés dans la chartreuse médiévale de Charterhouse, comme si une boucle se bouclait à travers les strates de sept siècles de l'histoire d'une ville.

 

De Rio

 
Le rose et le rouge, une association de couleurs que l'on retrouve souvent dans les petits bars de quartier.

Le rose et le rouge, une association de couleurs que l'on retrouve souvent dans les petits bars de quartier.

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Batucada dans Vila Isabel et figurines sculptées par Antonio de Oliveira, collections du Museu Casa do Pontal.

Batucada dans Vila Isabel et figurines sculptées par Antonio de Oliveira, collections du Museu Casa do Pontal.

Recreio das Bandeirantes, dans la zone ouest, partie encore peu construite de Rio, bientôt gagnée par l'extension de la ville.

Recreio das Bandeirantes, dans la zone ouest, partie encore peu construite de Rio, bientôt gagnée par l'extension de la ville.

Plage d'Urca, seul quartier de Rio qu'aucune favela ne jouxte

Plage d'Urca, seul quartier de Rio qu'aucune favela ne jouxte

Dans le quartier de Leblon , travaux d'extension du métro  vers Barra da Tijuca en vue des Jeux olympiques. Tout Rio est en chantier et les retards s'accumulent. Les transports en commun restent un problème majeur, du fait de leur cherté et de …

Dans le quartier de Leblon , travaux d'extension du métro  vers Barra da Tijuca en vue des Jeux olympiques. Tout Rio est en chantier et les retards s'accumulent. Les transports en commun restent un problème majeur, du fait de leur cherté et de leur mauvaise organisation.

Enfants pêchant dans un petit étang en bas de la favela du Morro das Macacos où stationne depuis 2010 l'une des 39 unités de police de pacification de Rio . Azulejos de Candido Portinari pour le ministère de la santé et de l'éducation , chef d’œuvre…

Enfants pêchant dans un petit étang en bas de la favela du Morro das Macacos où stationne depuis 2010 l'une des 39 unités de police de pacification de Rio . Azulejos de Candido Portinari pour le ministère de la santé et de l'éducation , chef d’œuvre moderniste que l'on l'aperçoit dans cette scène de L'Homme de Rio.

Panthéon de garagiste  : d'Ayrton Senna à Jésus en passant par Carla Perez.

Panthéon de garagiste  : d'Ayrton Senna à Jésus en passant par Carla Perez.

Dans la forêt de Tijuca, offrandes aux dieux du candomblé,  une religion menacée par l'emprise croissante des évangéliques qui n'hésitent pas à détruire ces marques de dévotion.

Dans la forêt de Tijuca, offrandes aux dieux du candomblé,  une religion menacée par l'emprise croissante des évangéliques qui n'hésitent pas à détruire ces marques de dévotion.

Du haut du Pain de sucre : la sensation de se dissoudre dans l'azur

Du haut du Pain de sucre : la sensation de se dissoudre dans l'azur

 
 

Fenêtres russes

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Au musée Zadkine, est célébré le cent cinquantième anniversaire de la naissance de Sergueï Proucoudine-Gorsky (1863-1944), industriel russe féru de nouvelles technologies connu pour avoir mis au point un procédé de prise photographique en trichromie permettant un rendu des couleurs d'une intense luminosité et d'une extrême précision. Soutenu par Nicolas II subjugué par l'apparition des images de son empire sur un grand carré de toile tendue un beau jour de mai 1909,  il parcourut le territoire russe jusqu'à ses confins asiatiques dans un wagon spécialement aménagé de 1909 à 1916, fixant sur plaques de verre des milliers de clichés de fleuves, forêts, arbres en fleurs, plaines, champs, églises, chemins de fer, paysans, paysannes, enfants, moines et objets liturgiques .

C'est la Bibliothèque du Congrès américain qui détient  la majeure partie des plaques , achetées aux héritiers de Procoudine-Gorsky qui les emporta dans sa fuite hors de la Russie en révolution en 1918 dans des conditions encore assez mystérieuses.

Les commissaires de l'exposition ont fait le beau choix de monter les positifs sur des caissons lumineux incrustés dans les fenêtres de l'atelier et de la maison du sculpteur Zadkine, qui donnent sur une petit jardin planté de bouleaux, non loin du Luxembourg,  Le dispositif offre la très curieuse sensation d'une ouverture vers un espace parallèle qui relèverait moins d'un voyage dans le temps  ( malgré le titre de l'exposition "Voyage dans l'ancienne Russie" qui joue sur la nostalgie de la Russie blanche)  que d'une pénétration dans l'imaginaire des espaces russes. Entre les étonnantes bordures fluorescentes, l'on est tout prêt à voir apparaître  le cavalier blanc ou le cavalier rouge de la forêt de Baba-Yaga ou sauter un petit poisson d'or à la surface des eaux étales des longs rubans fluviaux.

 

 

 

S.Procoudine-Gorsky. 1910

Source of the Zapadnaya Dvina River near the village of Karyakino, 3 versts from The Peno Lake, Tver Province, Ostashkov district.

Library of Congresss

S. Procoudine-Gorsky

Volga, 1910

Library of Congress

La Tamise : de près, de loin

Trésors récoltés à Wapping sur un zinc peint par Anne de Seynes 

 

 

Effet de zoom : la Tamise, vue de près et de loin en l'espace d'une heure,  des grèves à marée basse pleines de trésors de Wapping au sommet du Shard de Renzo Piano, le plus haut gratte-ciel d'Europe.

 

 

D'autres vues aériennes de Londres, issues des archives de la société Aerofilms, de 1919 à 1953 :  Britain from Above,

Villages perchés et chemins de crête

Giovanni Bellini.Saint François dans le désert. Frick Collection

 

Raphaël. Vierge au chardonneret. Musée des Offices. 

Giovanni Bellini. Vierge à l'enfant. Gemäldegalerie. Berlin

Lorenzo Lotto. Vierge à l'enfant avec Saint Jérôme et Saint Nicolas de Tolentino. Museum of Fine Arts, Boston.

Giovanni Bellini. Femme à sa toilette. National Gallery, London

 

Après avoir eu l'impression de pénétrer dans un tableau de la Renaissance sur les routes d'Ombrie (feuilletage des perspectives, silhouettes des villages perchés se détachant dans le lointain comme un rêve de pierre, contrastes de luminosité ), faire le chemin inverse et sillonner l'espace du tableau pour retrouver les sensations du paysage réel.

 

 

Andrea Mantegna. Triptyque. Musée des Offices, Florence. 

 

L'écriture des objets

 

L'extraordinaire attrait du Pitt Rivers Museum à Oxford tient autant à la richesse de ses collections ethnologiques qu' à leur incomparable présentation. Créé en 1887 pour abriter les collections du général Pitt-Rivers, le musée a gardé son architecture métallique, ses cabinets de présentation vitrés dont tous les tiroirs peuvent être ouverts (certains ont été reconstruits à l'identique), et surtout le principe d'une classification non par aire géographique et par culture, comme c'est le cas dans l'énorme majorité des musées ethnographiques, mais par thèmes : traitement des morts, magie, tabac et stimulants, feu et lumière, habillement, etc.

Le visiteur, à qui sont réservées des heures et heures de pure joie de la découverte dans une ambiance mâtinée de Tardi, d'Indiana Jones et de Tintin  atteignant son comble devant la vitrine des têtes réduites des Shuar de l'Amazonie supérieure, puise à une autre source de réjouissance : à la beauté des artefacts du monde entier vient s'ajouter l'esthétique des premiers actes de conservation et de classification. Les objets sont en effet accompagnés de milliers d'étiquettes manuscrites rédigées par les conservateurs de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle et même recouverts de fines lignes d'écriture descriptive qui agissent comme une transmutation de la qualité originelle. Une technique à laquelle on pourrait s'essayer pour transformer en quelques secondes les objets de son propre environnement en objets étrangers à soi-même, immédiatement muséifiables.

Le site internet du musée est extrêmement complet, je vous recommande en particulier le sous-site consacré aux amulettes :  Small Blessings.

Sacro bosco

Herbert List. Bomarzo, Parco dei  Monstri, 1952. Magnum 

Bomarzo e la villa delle meraviglie : guida storica : civilta, arte, religione / Domenico Cenci. - Milano : Unione editoriale, 1957. -

Herbert List, 1952, Magnum

Bomarzo, dans le Latium à une heure de Rome,  un village perché sur un éperon rocheux. En contrebas, au flanc d'une colline bordée d'une rivière, le Sacro Bosco : jardin créé à la Renaissance par le seigneur Orsini pour sa femme Giulia Farnese, dont on raconte qu'il assassina l'amant. Une imagination débridée, des énigmes enfermées dans chaque statue, grotesque ou mythologique : sirène à queue bifide, tortue géante, gueule d'orque, sphinges, nymphe endormie, éléphant d’Hannibal, dragon, harpie, Neptune et Hercule, nymphée, maison penchée, théâtre de verdure, temple. Des inscriptions gravées : Voi che pel mondo gite erando vaghi / Di veder maraviglie alte e stupende / Venite qua, dove son faccie horrende / Elefanti leoni orsi orchi et draghi - « Vous qui allez errants par le monde / Pour contempler de hautes et stupéfiantes merveilles, / Venez ici ! Vous y trouverez des faces terribles / Éléphants, lions, ours, orques et dragons. » ; Ogni Pensiero Vola - « Chaque pensée s'envole ».

Bref, visiter le Parco dei Mostri sonne comme la promesse de pénétrer dans une monde mystérieux de mousses, de pierres et d'arbres peuplé de présences invisibles. Le visiteur devra cependant vite déchanter devant le défilé, aussi joyeux que bruyant, de familles italiennes pressées de faire la queue pour se photographier entre les dents de l'orque. Dans le hall du bâtiment d'entrée, son regard sera d'abord attiré par une machine jaune, bleue et rouge "Love Sexy" à calculer le potentiel sexuel (de "impotente /frigida" à "Bomba sessuale").  Puis il s'attardera sans doute sur de belles photographies en noir et blanc affichées au mur montrant le parc envahi par une végétation buissonnante où paissent des troupeaux de moutons. C'est le jardin juste avant que la famille Bettini n'entreprenne des travaux pour l'ouvrir au public dans les années 50.

Car pendant plus de quatre cents ans, il est resté à l'abandon. Au XIXe siècle et au XXe siècle, quelques étrangers intrépides et connaisseurs s'y sont laissés guider par les paysans du village. Un an après Dali, en 1949, Mario Praz, l'éminent spécialiste du romantisme noir, du beau et du bizarre, visite le jardin dévasté, auquel il consacre un article pionnier publié en 1953. C'est l'heure de la redécouverte de Bomarzo : Antonioni y tourne en 1950 un court-métrage peu après son Nettezza Urbana sur les éboueurs de Rome ; Herbert List y prend des photos en 1953 pour le compte de Magnum  ; André Pieyre de Mandiargues y fait les premiers repérages d'une future étude.

C'est le Bomarzo secret que l'on aurait rêvé de découvrir.

 

 

135 All Saints Street, Hastings

 

Au 135 All Saints Street à Hastings, rue bordée de maisons  à colombages, Alastair Hendy a investi une maison de marchands du XVIe siècle après des années de travaux.  Ce photographe, journaliste et styliste spécialisé dans la gastronomie et les voyages est aussi l'heureux inventeur et propriétaire d'une quincaillerie, brocante, restaurant dans une autre partie de cette petite ville côtière du sud de l'Angleterre : AG Hendy's Home Store.

En aucun cas, il ne s'est agi pour lui de viser une reconstitution historique. Il a plutôt décoré la maison comme on mettrait un déguisement, pour s'amuser. Ce qui semble l'avoir guidé, c'est avant tout les jeux de textures, à commencer par le bois des colombages et des lambris, mis à nu, raboteux.

Un nuancier est né,  réduit et contrasté : le noir et le blanc, le rouge et le vert.

Meubles et objets sont venus peupler les pièces non par respect scrupuleux du passé mais suivant l'intelligence de la matière : le mat et le rugueux. Ficelles et cordes, briques des murs de la cuisine et de la courette, lin tissé à la main des serviettes et des nappes, crin des brosses, brindilles d'un nid posé sur le rebord d'une fenêtre, papier pulpeux des gravures du XIXe siècle, grès des pots,  rouille et patine des métaux. Et pour souligner les aspérités, une source de lumière inégalée : la bougie.

Voici une maison qui n'est pas faite pour être habitée tous les jours de l'année mais pour éprouver des sensations :  l'engourdissement et le silence interrompu par les craquements d'un feu de bois, les rêveries nées du vacillement des flammes ou des tourbillons de vapeur au-dessus d'une casserole, les visages humains dessinés au hasard des accidents des murs, l'appel au monde nocturne d'une chouette qui hulule.

 

 

La maison d'Alastair Hendy est ouverte deux fois par an : en été et à Noël. Pour plus d'informations, reportez-vous à cette page.

Barbier de Todi

 

Il est 13 heures  contrairement à ce qu'indique l'horloge de cette boutique de barbier à Todi,  en Ombrie. Les portes sont closes, comme celles de la plupart des commerces de la petite ville, mais elles laissent entrevoir un décor intriguant : des vieux livres amoncelés et au mur des photos de groupes qui semblent résumer tout un pan de l'histoire de l'Italie à travers l'histoire d'une vie, celle du coiffeur. Photos d'écoliers, de premiers communiants, de balilla peut-être, de footballeurs, photos de mariage, de baptêmes, d'anniversaires, de fêtes entre amis et une photo de femme isolée. Histoires de vies, devrait-on dire, car l'espace désert résonne avec intensité de toutes les conversations intimes échangées au fil du rasoir avec les habitués depuis des années. Comme il serait beau à ce moment précis de passer  la bande enregistrée diffusée dans la grande nef de la basilique d'Assise : une voix masculine  sévère et rapide répétant à intervalles réguliers "Silenzio"   "Silenzio"  "Silenzio"  "Silenzio".

 
 

Stanza degli uccelli

gypsothèque de la Villa Medicis

Cette petite porte verte que l'on aperçoit depuis la fenêtre de la gypsothèque de la Villa Médicis ouvre sur un lieu secret, dont la splendeur a été redécouverte grâce à une pensionnaire de l'Académie de France, Géraldine Albers, venue sonder le badigeon qui le recouvrait. Il s'agit de la chambre aux oiseaux que le cardinal Ferdinand de Medicis a commandée au peintre florentin Jacopo Zucchi vers les années 1576-1577.

Grand collectionneur d'antiques (c'est lui qui est à l'origine de l’incrustation des bas-reliefs sur la façade intérieure de la villa), érudit, féru de sciences et de botanique (il cultivait des spécimens rares dans un jardin secret, le "Jardin des citronniers"), il fait construire à l'écart de sa villa du Pincio, niché au fond du jardin, un petit pavillon privé destiné à la retraite, à l'étude, à la contemplation de la campagne romaine et aux rencontres intimes  : un studiolo de deux pièces recouvertes de fresques.  La plus petite, "chambre de l'aurore", est décorée de grotesques, de paysages et de personnages mythologiques ; le plafond de la seconde, la plus grande, est parcouru de treillages, où s’entremêlent feuillages et fleurs, où sont posés oiseaux et petits animaux. La fraîcheur de l'intérieur d'une volière, un livre d'histoire naturelle à ciel ouvert.

 

 

Voir l'article de L'Objet d'art consacré à la restauration du pavillon de Ferdinand de Medicis

La restauration a été menée par feu Luigi de Cesaris, et les tentures en taffetas de soie rose bleuté, de type ermisino,  qui drapent les parois ont été commandées  à l'Antico Setificio Fiorentino.


 

Voir l'article de L'Objet d'art consacré à la restauration du pavillon de Ferdinand de Medicis

photo empruntée à  cet album flickr.

Greffons

Sculptures exposées à la Centrale Montemartini

Ce que nous regardons comme une totalité dotée de sens et de beauté, les riches collectionneurs de marbres antiques du XVIe et du XVIIe siècles ne le considéraient que comme des fragments appelés à être complétés. Ils faisaient alors appel à des sculpteurs pour greffer des parties manquantes sur les corps mutilés de leurs "reliques cendreuses" afin d'exposer leurs statues reconstruites, un peu comme si l'on collait des bras modernes à la Venus de Milo. Ainsi Le Bernin et L'Algarde furent sollicités pour procéder à ces opérations, imprimant une gestuelle baroque aux divinités classiques et s'éloignant de l'iconographie antique : voir la statue d'Héraclès en tueur de l'Hydre de Lerne ou l'Hermès Ludovisi conservé au Palazzo Altemps.

Au XVIIIe siècle commença un vaste mouvement de dérestauration, visant à ôter les morceaux ajoutés à ces êtres devenus hybrides.

 

 

Nuovo Sacher

A Rome, dans le quartier du Trastevere, juste à côté du bel immeuble de l'ex-Gil de Luigi Moretti, pèlerinage au Nuovo Sacher, la salle de cinéma que Nanni Moretti a ouverte au début des années quatre-vingt-dix, utilisant une ancienne salle de théâtre, le Teatro Nuovo, elle-même née de la structure construite pour le Dopolavoro fasciste.


De l'autre côté du Tibre, tout droit et à droite après la pyramide de Caius Sextius, la Garbatella.