Bomarzo,
dans le Latium à une heure de Rome, un village perché sur un éperon
rocheux. En contrebas, au flanc d'une colline bordée d'une rivière, le Sacro Bosco
: jardin créé à la Renaissance par le seigneur Orsini pour sa femme
Giulia Farnese, dont on raconte qu'il assassina l'amant. Une imagination
débridée, des énigmes enfermées dans chaque statue, grotesque ou
mythologique : sirène à queue bifide, tortue géante, gueule d'orque,
sphinges, nymphe endormie, éléphant d’Hannibal, dragon, harpie, Neptune
et Hercule, nymphée, maison penchée, théâtre de verdure, temple. Des inscriptions gravées : Voi che pel mondo gite erando vaghi / Di veder maraviglie alte e
stupende / Venite qua, dove son faccie horrende / Elefanti leoni orsi
orchi et draghi - « Vous qui allez errants par le monde / Pour
contempler de hautes et stupéfiantes merveilles, / Venez ici ! Vous y
trouverez des faces terribles / Éléphants, lions, ours, orques et
dragons. » ; Ogni Pensiero Vola - « Chaque pensée s'envole ».
Bref,
visiter le Parco dei Mostri sonne comme la promesse de pénétrer dans
une monde mystérieux de mousses, de pierres et d'arbres peuplé de
présences invisibles. Le visiteur devra cependant vite déchanter devant
le défilé, aussi joyeux que bruyant, de familles italiennes pressées de
faire la queue pour se photographier entre les dents de l'orque. Dans le
hall du bâtiment d'entrée, son regard sera d'abord attiré par une
machine jaune, bleue et rouge "Love Sexy" à calculer le potentiel sexuel
(de "impotente /frigida" à "Bomba sessuale"). Puis il s'attardera sans
doute sur de belles photographies en noir et blanc affichées au mur
montrant le parc envahi par une végétation buissonnante où paissent des
troupeaux de moutons. C'est le jardin juste avant que la famille Bettini
n'entreprenne des travaux pour l'ouvrir au public dans les années 50.
Car
pendant plus de quatre cents ans, il est resté à l'abandon. Au XIXe
siècle et au XXe siècle, quelques étrangers intrépides et connaisseurs
s'y sont laissés guider par les paysans du village. Un an après Dali, en
1949, Mario Praz, l'éminent spécialiste du romantisme noir, du beau et
du bizarre, visite le jardin dévasté, auquel il consacre un article
pionnier publié en 1953. C'est l'heure de la redécouverte de Bomarzo :
Antonioni y tourne en 1950 un court-métrage peu après son Nettezza Urbana sur les éboueurs de Rome ; Herbert List y prend des photos en 1953 pour le compte de Magnum ; André Pieyre de Mandiargues y fait les premiers repérages d'une future étude.
C'est le Bomarzo secret que l'on aurait rêvé de découvrir.