Illuminations

Catalogue de l'exposition Illuminations, Palais des Beaux Arts de Lille, novembre 2013-Fevrier 2014 Editions Invenit.

Livre d'heures à l'usage de Paris. Maitre de la chronique scandaleuse et maître anonyme tourangeau, Paris, vers 1490-1495. Parchemin, peinture a tempera, encre et or. Lille, Palais des beaux-arts.

Livre d'heures à l'usage de Paris. Maitre de la chronique scandaleuse et maître anonyme tourangeau, Paris, vers 1490-1495. Parchemin, peinture a tempera, encre et or. Lille, Palais des beaux-arts.

Jan Fabre. Chalcosoma. Bronze. 2006-2012

Jan Fabre. Chalcosoma. Bronze. 2006-2012

Livre d'heures à l'usage de Paris. Maitre de la chronique scandaleuse et maître anonyme tourangeau, Paris, vers 1490-1495. Parchemin, peinture a tempera, encre et or. Lille, Palais des beaux-arts.

Jan Fabre. Chalcosoma. Cerveau avec arbre miniature. Bronze. 2006-2012

Jan Fabre. Chalcosoma. Cerveau avec arbre miniature. Bronze. 2006-2012

 

Pour valoriser les collections de manuscrits enluminés médiévaux des musées de France (souvent à l'état d'épaves du fait de la pratique répandue jadis chez les collectionneurs de démembrer les reliures pour en extraire les folios les plus précieux ), l'Institut national d'histoire de l'art a pris l'initiative d'organiser une exposition en réseau dans trois sites différents : le musée des Augustins à Toulouse, le musée des beaux-arts d'Angers et le Palais des beaux-arts de Lille.

A Lille, Illuminations met en regard de manière féconde les enluminures et un groupe de sculptures de bronze doré de petite taille de Jan Fabre  intitulé Chalcosoma, du nom d'un scarabée rhinocéros d'Asie du Sud-Est, comme si les drôleries des marges des enluminures se prolongeaient hors des bordures de la page, comme si les jeux auxquels se livraient les enlumineurs trouvaient une réponse complice par-delà les siècles.

 

Sacro bosco

Herbert List. Bomarzo, Parco dei  Monstri, 1952. Magnum 

Bomarzo e la villa delle meraviglie : guida storica : civilta, arte, religione / Domenico Cenci. - Milano : Unione editoriale, 1957. -

Herbert List, 1952, Magnum

Bomarzo, dans le Latium à une heure de Rome,  un village perché sur un éperon rocheux. En contrebas, au flanc d'une colline bordée d'une rivière, le Sacro Bosco : jardin créé à la Renaissance par le seigneur Orsini pour sa femme Giulia Farnese, dont on raconte qu'il assassina l'amant. Une imagination débridée, des énigmes enfermées dans chaque statue, grotesque ou mythologique : sirène à queue bifide, tortue géante, gueule d'orque, sphinges, nymphe endormie, éléphant d’Hannibal, dragon, harpie, Neptune et Hercule, nymphée, maison penchée, théâtre de verdure, temple. Des inscriptions gravées : Voi che pel mondo gite erando vaghi / Di veder maraviglie alte e stupende / Venite qua, dove son faccie horrende / Elefanti leoni orsi orchi et draghi - « Vous qui allez errants par le monde / Pour contempler de hautes et stupéfiantes merveilles, / Venez ici ! Vous y trouverez des faces terribles / Éléphants, lions, ours, orques et dragons. » ; Ogni Pensiero Vola - « Chaque pensée s'envole ».

Bref, visiter le Parco dei Mostri sonne comme la promesse de pénétrer dans une monde mystérieux de mousses, de pierres et d'arbres peuplé de présences invisibles. Le visiteur devra cependant vite déchanter devant le défilé, aussi joyeux que bruyant, de familles italiennes pressées de faire la queue pour se photographier entre les dents de l'orque. Dans le hall du bâtiment d'entrée, son regard sera d'abord attiré par une machine jaune, bleue et rouge "Love Sexy" à calculer le potentiel sexuel (de "impotente /frigida" à "Bomba sessuale").  Puis il s'attardera sans doute sur de belles photographies en noir et blanc affichées au mur montrant le parc envahi par une végétation buissonnante où paissent des troupeaux de moutons. C'est le jardin juste avant que la famille Bettini n'entreprenne des travaux pour l'ouvrir au public dans les années 50.

Car pendant plus de quatre cents ans, il est resté à l'abandon. Au XIXe siècle et au XXe siècle, quelques étrangers intrépides et connaisseurs s'y sont laissés guider par les paysans du village. Un an après Dali, en 1949, Mario Praz, l'éminent spécialiste du romantisme noir, du beau et du bizarre, visite le jardin dévasté, auquel il consacre un article pionnier publié en 1953. C'est l'heure de la redécouverte de Bomarzo : Antonioni y tourne en 1950 un court-métrage peu après son Nettezza Urbana sur les éboueurs de Rome ; Herbert List y prend des photos en 1953 pour le compte de Magnum  ; André Pieyre de Mandiargues y fait les premiers repérages d'une future étude.

C'est le Bomarzo secret que l'on aurait rêvé de découvrir.

 

 

Haze

Tara Donovan. Sans titre, 2008. Feuilles de polystyrène. Pace Gallery

Pour la première fois en Europe, une exposition est consacrée à la sculptrice américaine Tara Donovan : huit de ses installations occupent une aile du Louisiana, magnifique complexe d'art moderne bordant le détroit de l'Øresund non loin d'Elseneur.

Des matériaux produits en masse, facilement accessibles (boutons, assiettes en papier, cure-dents, pailles en plastique), de couleur neutre, servent de point de départ à une énorme travail d'assemblage d'une minutie extraordinaire. Ainsi pour Haze,  l'artiste a-t-elle collé les unes aux autres des milliers de pailles transparentes contre un mur en faisant naître de doux reliefs : de loin, rien ne permet de discerner ce dont la sculpture est faite, elle donne la sensation d'une matière cireuse d'un blanc immaculé ; de près, le spectateur se trouve happé par un monde sans fond d'alvéoles minuscules dont il ne peut détacher ses yeux. Il en va de même pour ce parallélépipède empli de feuilles de polystyrène dont les courbes tour à tour laissent passer la lumière ou forment un monde replié sur lui-même selon qu'on les regarde de biais ou de face.

Car les oeuvres de Tara Donovan ont cette particularité d'être, selon ses mots, "activées par le corps du spectateur".  Elles changent au gré de ses mouvements, offrant des formes contrastées,  des lumières et des reflets en perpétuelle mutation. Elles jouent des échelles de perception et de l'incapacité du regard à saisir une totalité signifiante.  Elles semblent abolir les limites entre un intérieur et un extérieur comme si elles propulsaient le spectateur au sein d'une représentation agrandie au microscope de son propre organisme. Et c'est un bonheur d'observer le ballet des visiteurs qui passent et repassent inlassablement devant une même oeuvre : s'approchant, se reculant, faisant deux pas de côtés, tournoyant, marchant dans une multiplicité de rythmes. Ici, nul trompe-l'oeil car rien n'est représenté  mais la joie de sentir son regard sculpter une matière vivante.


Exposition Tara Donovan, au Louisiana, Humlebæk, jusqu'au 28 juillet 2013.

Greffons

Sculptures exposées à la Centrale Montemartini

Ce que nous regardons comme une totalité dotée de sens et de beauté, les riches collectionneurs de marbres antiques du XVIe et du XVIIe siècles ne le considéraient que comme des fragments appelés à être complétés. Ils faisaient alors appel à des sculpteurs pour greffer des parties manquantes sur les corps mutilés de leurs "reliques cendreuses" afin d'exposer leurs statues reconstruites, un peu comme si l'on collait des bras modernes à la Venus de Milo. Ainsi Le Bernin et L'Algarde furent sollicités pour procéder à ces opérations, imprimant une gestuelle baroque aux divinités classiques et s'éloignant de l'iconographie antique : voir la statue d'Héraclès en tueur de l'Hydre de Lerne ou l'Hermès Ludovisi conservé au Palazzo Altemps.

Au XVIIIe siècle commença un vaste mouvement de dérestauration, visant à ôter les morceaux ajoutés à ces êtres devenus hybrides.