Overdrawn lips

Vogue. October 1951. Clifflord Coffin,  

Lisa Fonssagrives

Alfred Eisenstaedt. Chapeau Lilly DAché. Couverture de Life, 1937

via http://vintageads.tumblr.com/

Marlene Dietrich dans Angel, par Everett

Erwin Blumenfeld. Vogue, octobre 1952

 

Des années trente aux années cinquante, le maquillage déborde les contours naturels des lèvres pour dessiner une autre bouche, pulpeuse et sinueuse. L'artifice est évident et cela ne le rend que plus beau. "The lush loveliness of curves that nature has drawn and art has glorified" dit la publicité des cigarettes Benson&Hedges, censées de ne pas ruiner de précieux préparatifs que la femme aura consacré à "s'élever au-dessus de la nature pour mieux  subjuguer les cœurs et frapper les esprits". Pour son corps, elle procédera à l'opération inverse en sous-dessinant sa silhouette grâce aux gaines, exactes contemporaines de ces bouches débordées.

Plus tard, le naturel devra l'emporter et l'artifice se dissimuler allant jusqu'à se rendre invisible,  glissé sous la peau même grâce à la chirurgie esthétique.

 

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Quelques liens autour de la mode des années cinquante : 

Pleasurephoto 

Site officiel consacré à Jean Patchett, le mannequin de la célèbre couverture de Vogue par Blumenfeld  de janvier 1950 'Eye and Lips"

 Minimadmod60s 

blog de SoVeNa

Sighs and Whispers 

myvintagevogue 

Vintage Madison Avenue  

Vintage Ad Browser 

 
Audrey Hepburn, par Avedon. 1953

Audrey Hepburn, par Avedon. 1953

Unseen Versailles

 

A la fin des années soixante-dix, la grande photographe de mode Deborah Turbeville a été contactée par Jacqueline Onassis alors éditrice chez Double Day pour réaliser un beau livre autour du château de Versailles, un Versailles hanté et mélancolique. Ce sera Unseen Versailles aujourd'hui introuvable.

Ce sont ces photos que  Serge Aboukrat montre en ce moment dans  sa minuscule galerie de la place Furstemberg, transformée pour l'occasion en cabinet tapissé d'une juxtaposition de cadres rouillés  reproduisant le dédale des petits appartements privés,  tout en enfilades de cabinets et recoins intimes. Loin des reflets du papier glacé, loin des flambloyances de la galerie des glaces, les images sont mates, éraflées, poudroyantes, entrelacées de textes manuscrits. L’œil les parcourt dans le désordre comme l'on emprunterait des portes dérobées, en faisant  froufrouter une robe de soie sur les parois d'un couloir étroit et obscur. Contrairement aux indications de l'éditrice qui souhaitait que soient donnés à voir "ces escaliers secrets d'où fusaient commérages et scandales", c'est un Versailles plombé par un silence de mort que nous découvrons. L'agitation de la cour, l'intense circulation qui animait à toute heure les lieux, si bien évoquée dans Les Adieux à la Reine de Benoît Jacquot, n'est plus : ce n'est pas même le sommeil de La Belle au Bois dormant mais la pétrification d'un monde. Les dames entr'aperçues sont à l'image des statues, transformées en gisants marmoréens tandis que poussière et linceuls recouvrent toute chose.

A vrai dire, il est un peu mal aisé d'entretenir une intimité avec cette exposition sous l’œil du galeriste, si affable fût-il. On rêverait que soit réutilisé le procédé que mirent au point Christian Boltanski et Jean Le Gac dans les années soixante : après avoir transformé en installation un appartement familial laissé vide entre deux locations , ils firent faire des dizaines de doubles des clefs qu'ils envoyèrent avec seulement leurs noms et l'adresse à laquelle se rendre.

Voilà, on recevrait une clef enrubannée, une adresse et une heure et l'on découvrirait la galerie seul la nuit, à la lueur d'un bougeoir.


Là, on se plairait à songer à  l'atmosphère si particulière qui a présidé à l'élaboration de cette série. Deborah Turbeville la décrit très bien dans le petit papier de présentation. Marine Biras avait fabriqué des costumes très proches des originaux, l'un des plus grands maquilleurs de Vogue s'était joint à la partie, apportant avec lui des perruques aux teintes des premières lueurs du jour, des jeunes filles aux traits XVIII e avaient été embauchées tandis que le conservateur exerçait une surveillance et un contrôle des plus sévères.  "Je suis sûre que nous donnions l'image d'une troupe de personnages sortie d'un film de Felllini lorsque nous descendîmes l'escalier principal avec nos airs déjantés de bande désassortie, nos étoffes bigarrées, nos déguisements, perruques et animaux domestiques ", bande entraînée par un bossu claudiquant précédé par des gardes porteurs de candélabres dans un Versailles d'hiver maussade, déserté par les touristes.

 

 

 Deborah Turbeville. Unseen Versailles. Galerie Serge Aboukrat, jusqu'au 30 janvier 2013.

Photos  empruntées ici et .

 

Jardin d'hiver

http://florizel.canalblog.com/archives/2012/10/28/25442236.html

 

S'il avait eu connaissance des merveilleuses fleurs de soie pliée de Karuna Balloo, sans doute Mallarmé les aurait-il immédiatement placées dans l'une des corbeilles de mariage qu'il se plaisait à composer dans La Dernière Mode aux côtés d'un petit flacon Louis XV à guirlande, d'un éventail, de dentelles Chantilly, de parures d'émeraudes et de brillants, de châles à motifs cachemire, les yeux éblouis par des "irisations, des opalisations ou des scintillements". Sans doute aurait-il confié à Miss Satin le soin de louer le contenu des cartons de cette horticultrice textile : "On pourrait dire de cette dame qu'elle a des doigts de roses du matin, mais d'un matin artificiel, faisant éclore des calices et des pistils d'étoffes". Et nous mettrions ses fleurs dans nos cheveux sans plus attendre.

photo du mur d'inspiration par Nathalie Baetens pour Côté Paris, oct-nov 2012

La plume de Miss Satin

Images empruntées au facsimile vendu par la librairie Diktats

 

Ceux qui ont vu l'exposition L'impressionnisme et la mode à Orsay en savent déjà les évidents défauts : conception platissime de la peinture considérée comme simple illustration (il y a même une robe sortie du tableau, littéralement), effets de mise en scène grotesques dus à Robert Carsen (chants d'oiseaux et pelouse synthétique pour la section "Mode de plein air" ; alignement de chaises de défilés au nom des femmes de peintres célèbres). Philippe Dagen dit cela très bien ici. Toutefois, je dois l'avouer, j'y ai ressenti le plaisir facile que l'on éprouve à la vision d'un mauvais film en costumes historiques.

Et puis, caché dans les vitrines de la première salle, parmi les journaux de mode dont on décrit le plein essor, il y a un sublime ovni : La Dernière mode, gazette du monde et de la famille que rien ne distingue en apparence des autres titres sinon sa couverture bleue et un papier un peu plus épais. Cette gazette est l’œuvre, de A à Z, du  poète Stéphane Mallarmé qui sous divers pseudonymes (dont le plus délicieux, Miss Satin) l'a alimentée pendant sept parutions de septembre à décembre 1874 : descriptions de lithographies de mode, patrons, chroniques de la mode et de la vie parisienne - théâtres, livres, beaux-arts, menus et recettes ( même un sirop  pour guérir le rhume), conseils pour l'éducation, conseils de tapissier-décorateur, correspondance avec les abonnées.

On n'entrera pas dans les querelles que suscite la caractère inclassable de cette entreprise chez les érudits mallarméens, on se contentera d'en donner de larges extraits à partir des  Écrits sur l'art de Mallarmé que Michel Draguet a rassemblés  chez Garnier Flammarion (les sept numéros de La Dernière mode y figurent in extenso).

Le Papillon emblème ? Non,  parure.

"Ce cachet, il lui sera donné surtout par une nouvelle complétant les informations qui précèdent : c'est, quoi ? l'annonce d'un emblématique Papillon qui, vaste, superbe, taillé dans les tissus légers et délicieux, élèvera son vol immobile à hauteur, Mesdames, de l'une ou l'autre de vos joues, remplaçant par son caprice la fraise historique de ces dernières années. Vos frisures feront tomber leurs anneaux dans l'intervalle des deux ailes. Brillante imagination, n'est ce pas ? qui rappelle les métamorphoses mêlant à des gazes d'insectes un visage de femme dans les albums anciens de Grandville : non, elle appartient au génie de ce magicien extraordinaire, lui, aussi, mais autrement qu'en vignettes, ordonnateur de la fête sublime et quotidienne de Paris, de Vienne, de Londres et de Petersbourg, le grand Worth."

Les gares

"Tels sont nos plaisirs ressuscités ; outre la chasse lointaine, il est des citadins rebelles encore à tout projet de retour : plus que ceux que retient la grande vie de château ceux-là qui errent simplement pour ne pas rentrer. Voyager ! Il leur faut cela après la plage avant la rue. Signalons, rapidement et au hasard, deux ou trois à peine de ces beaux voyages, faits dans les brumes et les riches feuillages d'octobre : mais sans avoir la prétention, à cause de notre peu de place, de les indiquer tous ou presque tous.

Billets d'aller et de retour pour la Forêt de Fontainebleau"

Chronique de Paris

"Mille secrets (histoire volage d'une soirée) trouveront ici, avant de se confondre dans l'éclat de l'orchestre, un écho ; listes de danseurs perdues avec les fleurs effeuillées, programme de concert ou carte des dîneurs composent, certes, une littérature particulière, ayant en soi l'immortalité d'une semaine ou deux."

Étoffes de la saison

"A cette question des tissus va se joindre la préoccupation de couleurs. La nuance la plus en vogue toujours pour le dehors, sera le havane teinté appelée hier cachou et ce matin gyzèle : nous aurons ainsi (mêlant des teintes connues à quelques autres tout à fait neuves) les vert paon, bleu grenat, lie de vin, suresne, régina, loutre, gris de fer, gris ardoise, gris mode, écru et autres désignant les mêmes tons sous de vaines appellations.

Ne cédons pas à la tentation frivole de les énumérer;

Les Étoffes pour Costumes habillés: Lyon nous offre ses fayes et ses failles, ses poults-de-soie, ses satins, ses velours à nuls autres pareils, ses gazes et ses tulles, ses crêpes de Chine acclimatés par une fabrication qui, un jour, les exportera au pays même du thé ; enfin, les tissus lamés d'or et d'argent, goût somptueux, magnifique, ressuscités de jadis.

Mais la plus exquise des innovations, familière et suave, celle appelée, je le dis ! à régner plus qu'une saison, c'est les Cachemires de nuance claire devenus (mieux que les failles et les poults-de-soie) Toilettes du soir ; ceux roses et rose thé, bleus et bleu de ciel, les maïs, les réséda, les myosotis, les crème et gris clair de lune. "

Toilettes de bal : vaporeuses mais très ajustées, avec un exemple

"Quant aux caractères particuliers qui semblent s'imposer au début de l'hiver, dépourvu encore des grandes réunions de plaisr sauf dans l'arrière-saison châtelaine ou dans la prime fleur des régions officielles voici (ce que, du moins, j'ai sais, un peu sur nous, un peu chez les autres, beaucoup près des grandes couturières ou de leurs rivaux les couturiers) :

Article premier et unique

Si les tissus classiques de bal se plaisent en nous envelopper d'un brume envolée et faite de toutes les blancheurs, la robe elle-même, au contraire, corsage et jupe, moule plus que jamais la personne : opposition délicieuse et savante entre le vague et ce qui doit s'accuser.

Exemple de cette règle, qui vient de trop absolues souveraines de la Mode, pour n'être pas suivie tantôt par mille sujettes ravies, c'est : corsage ajusté de haut en bas, prenant les hanches et jupe plate devant, celui-ci venant brider celle là à mi-corps, puis écharpe ; l'Europe n'a-t-elle pas appris ce goût nouveau de l'Orient ?

 A l'article unique ou tout au moins premier qu'il faut écrire, afin de le méditer, sur le carnet de nacre et effacer, avec les derniers noms des danseurs restés de l'autre année, seulement dans l'après-midi d'avant le bal : je joins deux détails ou trois, parfois divers, jamais contradictoires".

Gazette de la fashion (où même les errata sont beaux, rappelant Les Loisirs de la poste)

"Très important à rappeler à nos Lectrices, que dis-je ?  à leur indiquer pour la première fois (car l'autre jour deux chiffres sur trois tout à fait erronés ses sont glissés dans les quelques lignes consacrées ici aux Corsets élégants) est l'atelier nouveau de Madame Gilbert : c'est bien la rue du Bac, mais 106 ( et non 187) qu'il faut écrire sur l'adresse des commandes envoyées la veille à l'habile et gracieuse corsetière."

Et puis, pour finir, parmi les Conseils sur l'éducation, la recommandation de La Petite grammaire française de M. Brachet

"Exempte de toute abstraite aridité pour l'esprit délicat et logique de l'enfant, il vous montre, à vous, qu'une langue, loin de livrer au hasard sa formation, est composée à l'égal d'un merveilleux ouvrage de broderie ou de dentelle : pas un fil de l'idée qui se perde, celui-ci se cache mais pour reparaître un peu plus loin uni à celui-là ; tous s'assemblent en un dessin, complexe ou simple, idéal, et une retient à jamais la mémoire, non ! l'instinct d'harmonie que, grand ou jeune, on a en soi."

 

 

Bureau de Diana Vreeland, New York, 1965

photo de James Karales  via 200%

 

Un portrait de la Callas, des ours blancs et bruns, des astronautes, des estampes japonaises de dames de cour aux kimonos flottants, la comtesse de Castiglione par Pierson, des photos d'Audrey Hepburn, le sphynx de Gizeh, des gravures de sultans turcs de la Renaissance, Noureev, une reproduction du portrait d'Agnes Sorel par Fouquet,  des citations comme des devises, une constellation d'attitudes, de silhouettes, d'expressions, de postures, de regards,  épinglés par Diana Vreeland dans son bureau de Vogue, pris ici en photo par James Karales en 1965. Une curieuse ressemblance avec le dispositif du Mnemosyne-Atlas de Warburg.