Foto Splendid C. Acsinte

Dans le petit musée ethnographique du judet de Ialomita dans le sud-est de la Roumanie, des cartons de plaques photographiques prenaient la poussière jusqu'au jour où  ils l'attirèrent l’œil de Cezar Popescu  : il n'eut alors de cesse de convaincre les responsables du musée de les lui confier pour les préserver d'une destruction irrémédiable. Depuis novembre 2013,  il consacre son temps à restaurer et digitaliser les portraits individuels et collectifs que  Costică Acsinte (1897-1984) prit dans et à l'extérieur de son studio du centre de Slobozia „Foto Splendid Acsinte“,  de 1930 à 1960.

Des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants, dont on ne connaîtra rien d'autre que le visage et le corps.  Pas de noms, très peu de dates mais des regards intenses, effarés, tendres, doux ou fuyants, des poses maladroites, nonchalantes, raides ou pleines d'aisance, des vêtements élimés, mal coupés, recherchés, élégants, éclatants de blancheur ou fraîchement empesés. Ce n'est pas vraiment d'histoire qu'il peut être question même si l'on sent confusément que certains n'ont pas eu la chance de revenir devant l'objectif de Costica, emportés par une mort brutale parce qu'ils étaient juifs, tsiganes ou plus tard opposants à la dictature communiste. Non, c'est plutôt à une communion avec une humanité disparue que ces photos nous invitent, à travers naissances, fiançailles, mariages, réunions de famille et enterrements qui nous permettent d'effleurer les énigmes de tous ces instants de vie qui défilent devant nos yeux. 

Et l'on ne peut être qu'admiratif de l'énorme travail de Cezar Popescu, de sa volonté acharnée de sauver ne serait-ce qu'un minuscule morceau de visage de la fosse commune de l'oubli.

Fenêtres russes

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Au musée Zadkine, est célébré le cent cinquantième anniversaire de la naissance de Sergueï Proucoudine-Gorsky (1863-1944), industriel russe féru de nouvelles technologies connu pour avoir mis au point un procédé de prise photographique en trichromie permettant un rendu des couleurs d'une intense luminosité et d'une extrême précision. Soutenu par Nicolas II subjugué par l'apparition des images de son empire sur un grand carré de toile tendue un beau jour de mai 1909,  il parcourut le territoire russe jusqu'à ses confins asiatiques dans un wagon spécialement aménagé de 1909 à 1916, fixant sur plaques de verre des milliers de clichés de fleuves, forêts, arbres en fleurs, plaines, champs, églises, chemins de fer, paysans, paysannes, enfants, moines et objets liturgiques .

C'est la Bibliothèque du Congrès américain qui détient  la majeure partie des plaques , achetées aux héritiers de Procoudine-Gorsky qui les emporta dans sa fuite hors de la Russie en révolution en 1918 dans des conditions encore assez mystérieuses.

Les commissaires de l'exposition ont fait le beau choix de monter les positifs sur des caissons lumineux incrustés dans les fenêtres de l'atelier et de la maison du sculpteur Zadkine, qui donnent sur une petit jardin planté de bouleaux, non loin du Luxembourg,  Le dispositif offre la très curieuse sensation d'une ouverture vers un espace parallèle qui relèverait moins d'un voyage dans le temps  ( malgré le titre de l'exposition "Voyage dans l'ancienne Russie" qui joue sur la nostalgie de la Russie blanche)  que d'une pénétration dans l'imaginaire des espaces russes. Entre les étonnantes bordures fluorescentes, l'on est tout prêt à voir apparaître  le cavalier blanc ou le cavalier rouge de la forêt de Baba-Yaga ou sauter un petit poisson d'or à la surface des eaux étales des longs rubans fluviaux.

 

 

 

S.Procoudine-Gorsky. 1910

Source of the Zapadnaya Dvina River near the village of Karyakino, 3 versts from The Peno Lake, Tver Province, Ostashkov district.

Library of Congresss

S. Procoudine-Gorsky

Volga, 1910

Library of Congress

Barbier de Todi

 

Il est 13 heures  contrairement à ce qu'indique l'horloge de cette boutique de barbier à Todi,  en Ombrie. Les portes sont closes, comme celles de la plupart des commerces de la petite ville, mais elles laissent entrevoir un décor intriguant : des vieux livres amoncelés et au mur des photos de groupes qui semblent résumer tout un pan de l'histoire de l'Italie à travers l'histoire d'une vie, celle du coiffeur. Photos d'écoliers, de premiers communiants, de balilla peut-être, de footballeurs, photos de mariage, de baptêmes, d'anniversaires, de fêtes entre amis et une photo de femme isolée. Histoires de vies, devrait-on dire, car l'espace désert résonne avec intensité de toutes les conversations intimes échangées au fil du rasoir avec les habitués depuis des années. Comme il serait beau à ce moment précis de passer  la bande enregistrée diffusée dans la grande nef de la basilique d'Assise : une voix masculine  sévère et rapide répétant à intervalles réguliers "Silenzio"   "Silenzio"  "Silenzio"  "Silenzio".

 
 

Lumières pour un rossignol

Carlo Mollino. Polaroïd.sd

Everett Shinn. Girl on Stage (1906). Coll. pr.

Everett Shinn et l'Ashcan School, les polaroïds de l'architecte turinois Carlo Mollino, deux sources auxquelles Darius Khondji a puisé pour la lumière du nouveau film de James Gray, The Nightingale. (cf Cahiers du cinéma n° 685, janvier 2013)

 

Pour en savoir plus sur la maison  jamais habitée de Carlo Mollino, conçue comme un mausolée dans lequel il aurait cheminé vers une autre vie,  entouré des milliers de photos de prostituées turinoises prises par ses soins et d'autres trésors personnels, voir l'article de Domus ici.

 

Theatre of War

Cecil Beaton, collections de l'Imperial War Museum. Marin du HMS Alcantara recousant un pavillon, mars 1942 (CBM 1049)

débris de tanks allemands  Sidi Rezegh en Libye (CMB 2494). IWM

tempête de sable, Afrique du Nord,( CBM 1358) IMW

portrait de la reine Fawzieh, première femme du Shah, Teheran

debriefing d'une escadrille de la RAF après une attaque nocturne sur l'Allemagne, 1941 (D 4750)

Saint Paul en ruines vu de la devanture d'une boutique victorienne, Londres, 1940.

 

L'Imperial War Museum de Londres, en pleine réfection, consacre une exposition aux photographies de guerre de Cecil Beaton, judicieusement intitulée Theatre of War.

Quand en 1940,  Cecil Beaton, frivole papillon de la haute société britannique, photographe de studio aux mises en scène sophistiquées, habitué des plateaux de cinéma de Hollywood, est engagé par le ministère de l'information comme photographe de guerre, d'aucuns auraient pu penser que les batailles, les destructions, les bombardements, la souffrance et les morts, allaient contribuer à changer profondément son style ? Eh bien non ! Jugez-en vous-même en parcourant les collections ici.

Beaton traverse la guerre sans montrer une goutte du sang alors qu'il a côtoyé corps en charpie, désolation et chaos. De Londres sous les bombes aux champs de bataille de l'Afrique du Nord, en passant par le Moyen-Orient, l'Inde, la Birmanie et la Chine, il fait du monde une vaste scène de théâtre. Ses portraits sont posés comme des photos de mode, le cadrage est extrêmement travaillé : les détritus de tanks de Rommel sont esthétisés à outrance, les debriefings de la RAF semblent sortis d'un film noir, les ruines du Blitz sont traitées comme un décor de scène. Et que dire des soldats qui sont autant de corps glamourisés et  érotisés ?  De son attirance, il ne cache rien. Tout cela sans aucune réaction de sa hiérarchie. Il est vrai que son remarquable sens de la mise en scène lui aura permis de produire des clichés redoutablement efficaces au service de la propagande. La photo de la petite victime des raids aérien Eileen Dunne sur son lit d'hôpital fera le tour du monde et aura un grand impact sur l'opinion publique américaine avant l'entrée en guerre des Etats-Unis, elle fera même la couverture de Life

Sa capacité à voir le beau partout aurait-elle pu trouver des limites ? Était-ce une forme de résistance ou de déni ?

 

 

Cecil Beaton, collections de l'Imperial War Museum. Marin du HMS Alcantara recousant un pavillon, mars 1942 (CBM 1049) ;  débris de tanks allemands  Sidi Rezegh en Libye (CMB 2494); tempête de sable, Afrique du Nord,( CBM 1358); portrait de la reine Fawzieh, première femme du Shah, Teheran ; debriefing d'une escadrille de la RAF après une attaque nocturne sur l'Allemagne, 1941 (D 4750); Saint Paul en ruines vu de la devanture d'une boutique victorienne, Londres, 1940.


 

 

 

Arbres généalogiques

Maissa Tulet

Maïssa Toulet

Maïssa Toulet

 

Avec son art consommé d'user des pratiques muséologiques et des méthodes de classement scientifiques,  Maïssa Toulet crée avec ses arbres généalogiques de violentes circulations de sens.  L'herbier - ce sont de véritables végétaux séchés qui représentent les diverses ramifications -   tire la famille du coté du naturel, du biologique et semble renforcer  l'aspect consensuel de la présentation généalogique  (mythologie des liens du sang qui fédèrent une multitude d' individus autour d'une origine commune) tandis que les qualificatifs accolés au prénom de chaque membre en lieu et place de ses dates de naissance et de mort agissent comme des dynamiteurs de l'unité familiale, révélant tares, conflits, haines recuites et lourds secrets. 

Regardez de plus près ces adjectifs, adverbes et noms au caractère hybride et ressentez  cette  jubilation poétique et grinçante de la langue que Maïssa aime à faire surgir de  vieux traités de psychologie populaire et d'autres matériaux imprimés du siècle dernier connues d'elle seule.

 

 

Quelques arbres sont d'ores et déjà en vente aux Mauvaises Graines, 25 rue Custine, 75018 Paris,  ; plusieurs autres seront à découvrir à la boutique éphémère de Noël du Pan Piper, 4 impasse Lamier, dans le XIe, les 23 et 24 novembre prochains.