L'appartement de Corrado N.

Stand de la galerie Helly Nahmad, Frieze Masters, Londres, octobre 2014

Photo issue du compte instagram du photographe Miguel Flores-Vianna

Stand de la galerie Helly Nahmad, Frieze Masters, Londres, octobre 2014

Photo issue du compte instagram du photographe Miguel Flores-Vianna

 

Le galeriste Helly Nahmad a choisi de présenter sa marchandise sur son stand de la foire d'art Frieze Masters à Londres en mettant en scène l'appartement d'un collectionneur imaginaire, à Paris, en 1968 : Corrado N.

Des Schwitters,  Twombly, Picasso, Miro, Fontana,  Dubuffet sur les murs, des affiches de la révolte étudiante mêlées à celles d'expositions, des corbeilles de paquets de cigarettes,  des cendriers pleins,  de la vaisselle sale dans l'évier, des cartes postales et des photos scotchées, des piles savamment désordonnées de journaux, de revues et de catalogues de ventes aux enchères.  Malin.

Malin, mais sans doute trop beau pour être vrai. Comme le souligne judicieusement le critique Josh Spero, l'absence totale de mauvais goût condamne l'installation à  l'invraisemblance :  pas un seul objet tant soit peu hideux, comme tout un chacun en possède, et pas une fausse note dans le choix des tableaux ou des artistes collectionnés.  Et pour cause, c'est le goût des collectionneurs actuels qui est donné à voir et non celui d'un collectionneur des années soixante. 

Foto Splendid C. Acsinte

Dans le petit musée ethnographique du judet de Ialomita dans le sud-est de la Roumanie, des cartons de plaques photographiques prenaient la poussière jusqu'au jour où  ils l'attirèrent l’œil de Cezar Popescu  : il n'eut alors de cesse de convaincre les responsables du musée de les lui confier pour les préserver d'une destruction irrémédiable. Depuis novembre 2013,  il consacre son temps à restaurer et digitaliser les portraits individuels et collectifs que  Costică Acsinte (1897-1984) prit dans et à l'extérieur de son studio du centre de Slobozia „Foto Splendid Acsinte“,  de 1930 à 1960.

Des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants, dont on ne connaîtra rien d'autre que le visage et le corps.  Pas de noms, très peu de dates mais des regards intenses, effarés, tendres, doux ou fuyants, des poses maladroites, nonchalantes, raides ou pleines d'aisance, des vêtements élimés, mal coupés, recherchés, élégants, éclatants de blancheur ou fraîchement empesés. Ce n'est pas vraiment d'histoire qu'il peut être question même si l'on sent confusément que certains n'ont pas eu la chance de revenir devant l'objectif de Costica, emportés par une mort brutale parce qu'ils étaient juifs, tsiganes ou plus tard opposants à la dictature communiste. Non, c'est plutôt à une communion avec une humanité disparue que ces photos nous invitent, à travers naissances, fiançailles, mariages, réunions de famille et enterrements qui nous permettent d'effleurer les énigmes de tous ces instants de vie qui défilent devant nos yeux. 

Et l'on ne peut être qu'admiratif de l'énorme travail de Cezar Popescu, de sa volonté acharnée de sauver ne serait-ce qu'un minuscule morceau de visage de la fosse commune de l'oubli.