Unseen Versailles

 

A la fin des années soixante-dix, la grande photographe de mode Deborah Turbeville a été contactée par Jacqueline Onassis alors éditrice chez Double Day pour réaliser un beau livre autour du château de Versailles, un Versailles hanté et mélancolique. Ce sera Unseen Versailles aujourd'hui introuvable.

Ce sont ces photos que  Serge Aboukrat montre en ce moment dans  sa minuscule galerie de la place Furstemberg, transformée pour l'occasion en cabinet tapissé d'une juxtaposition de cadres rouillés  reproduisant le dédale des petits appartements privés,  tout en enfilades de cabinets et recoins intimes. Loin des reflets du papier glacé, loin des flambloyances de la galerie des glaces, les images sont mates, éraflées, poudroyantes, entrelacées de textes manuscrits. L’œil les parcourt dans le désordre comme l'on emprunterait des portes dérobées, en faisant  froufrouter une robe de soie sur les parois d'un couloir étroit et obscur. Contrairement aux indications de l'éditrice qui souhaitait que soient donnés à voir "ces escaliers secrets d'où fusaient commérages et scandales", c'est un Versailles plombé par un silence de mort que nous découvrons. L'agitation de la cour, l'intense circulation qui animait à toute heure les lieux, si bien évoquée dans Les Adieux à la Reine de Benoît Jacquot, n'est plus : ce n'est pas même le sommeil de La Belle au Bois dormant mais la pétrification d'un monde. Les dames entr'aperçues sont à l'image des statues, transformées en gisants marmoréens tandis que poussière et linceuls recouvrent toute chose.

A vrai dire, il est un peu mal aisé d'entretenir une intimité avec cette exposition sous l’œil du galeriste, si affable fût-il. On rêverait que soit réutilisé le procédé que mirent au point Christian Boltanski et Jean Le Gac dans les années soixante : après avoir transformé en installation un appartement familial laissé vide entre deux locations , ils firent faire des dizaines de doubles des clefs qu'ils envoyèrent avec seulement leurs noms et l'adresse à laquelle se rendre.

Voilà, on recevrait une clef enrubannée, une adresse et une heure et l'on découvrirait la galerie seul la nuit, à la lueur d'un bougeoir.


Là, on se plairait à songer à  l'atmosphère si particulière qui a présidé à l'élaboration de cette série. Deborah Turbeville la décrit très bien dans le petit papier de présentation. Marine Biras avait fabriqué des costumes très proches des originaux, l'un des plus grands maquilleurs de Vogue s'était joint à la partie, apportant avec lui des perruques aux teintes des premières lueurs du jour, des jeunes filles aux traits XVIII e avaient été embauchées tandis que le conservateur exerçait une surveillance et un contrôle des plus sévères.  "Je suis sûre que nous donnions l'image d'une troupe de personnages sortie d'un film de Felllini lorsque nous descendîmes l'escalier principal avec nos airs déjantés de bande désassortie, nos étoffes bigarrées, nos déguisements, perruques et animaux domestiques ", bande entraînée par un bossu claudiquant précédé par des gardes porteurs de candélabres dans un Versailles d'hiver maussade, déserté par les touristes.

 

 

 Deborah Turbeville. Unseen Versailles. Galerie Serge Aboukrat, jusqu'au 30 janvier 2013.

Photos  empruntées ici et .

 

Shaken, not stirred

Un montage des scènes où 007 commande son cocktail favori

 

James Bond a la solidité d'un personnage de contes de fée, et donc sa plasticité.

Il a déjà résisté au passage du papier à l'écran, à six incarnations différentes, à l'invraisemblance d'avoir toujours le même âge depuis cinquante ans.


Avec Skyfall [ *attention aux spoilers*], il doit survivre à de multiples tortures infligées à ce qui fait son essence. John Logan, le scénariste de Sam Mendes, a transformé tout le film en une sorte de laboratoire à éprouver les limites de la fiction : jusqu'où aller pour qu'un héros reste ce qu'il est ? Une sorte de délicieux mikado où sont enlevés un à un les éléments constitutifs de son moi de fantaisie.

Voici donc James


- privé de l'une de ses deux répliques cultes : "Shaken, not stirred"

- condamné à boire de la bière (le placement de produits va de pair avec le principe du scénario)

- obligé de s'en tenir à deux gadgets minables d'un autre âge

- dépouillé de son Aston Martin

- réduit à une petite forme physique et mentale

- dépourvu ou presque de conquêtes féminines ("débondade", dirait Bayon)

- soumis à un changement quasi-complet de son entourage ( longue vie à Mallory et à ses pantalons années 30 !)

Et pourtant, il tient le choc et rien ne s'écroule. Il est vrai que deux autres éléments forts demeurent qui lui permettent de se maintenir dans sa structure, comme s'ils sculptaient de l'extérieur la forme presque vide que 007 est devenu : un bon méchant et la reine. 

This is not the end, Adele.