En Afrique de l'Ouest, de nombreuses
personnes, adultes comme enfants, portent sur elles des amulettes. La
plupart du temps affichés à la vue de tous (portés autour du cou, à la
ceinture, au poignet), ces objets magiques n'en sont pas moins des
objets intimes. Ils répondent à des intentions secrètes exposées dans
l'atmosphère confidentielle d'un entretien avec un marabout, puis
interprétées en vue de la fabrication d'un talisman doté d'un pouvoir
sur le réel : se prémunir du malheur, se soigner, déjouer la malchance,
s'attirer des bonnes grâces, s'assurer d'un succès politique ou
amoureux, obtenir des biens.
Une fois les paroles échangées avec le
guérisseur, l'objet échappe à son futur possesseur. Il ne connaît que le
mode d'emploi et le but de ce puissant réceptacle, comme nous ne
connaissons que la posologie et l'indication d'un médicament prescrit
par un médecin. Le secret de fabrication appartient au marabout, qui
aura placé à l'intérieur de gainages de cuir, de bouteilles, de cornes,
de cadenas, de colliers, à travers superpositions et noeuds, des
phrases en arabe issues du Coran, écrites sur du papier ou du tissu,
langue inconnue du destinataire.
Pour les ethnologues désireux d'étudier
ces pratiques de gestion du malheur et de la maladie, il est donc
difficile de connaître ces amulettes de l'intérieur.
Mais Alain Epelboin, médecin
anthropologue, et Constant Hamès, ethnologue, ont eu un coup de génie.
Après s'être liés d'amitié avec l'un des récupérateurs vivant sur
l'immense décharge de la banlieue de Dakar, Mbebess,
ils lui ont demandé de mettre de côté pour eux les précieuses amulettes
et autres objets magiques mis au rebut. Ainsi s'est constitué depuis
1983 le fonds ALEP (CNRS /Museum d'histoire naturelle), qui compte
désormais des milliers de pièces, matériaux d'une archéologie du temps
présent.
Cette collecte procure aux
chercheurs un double bénéfice puisqu'elle leur permet de connaître le
contenu des objets magiques en les ouvrant sans pour autant violer
l'intimité de leur propriétaire puisqu'ils ont été soit oubliés, soit
perdus, soit volontairement mis au rebut.
Ce sont quelques-uns des talismans découverts
à l'intérieur de ces objets, pliés, roulés, qu'ils donnent à voir
l'Institut du monde arabe : sourates du Coran, noms d'être puissants
calligraphiés à la main - mais il y a aussi des faux photocopiés !
-s'entremêlent en des dispositions géométriques méticuleuses, carrés
magiques, cercles, losanges ou simples lignes de répétition au graphisme
plein de force. Autrefois porteurs d'espoir, ils ont perdu leur
efficacité mais pas leur mystère : les raisons de leur arrivée dans la
décharge ne laissent pas d'intriguer. Vous pouvez feuilleter le
catalogue en ligne ici.