In No Great Hurry

Tout d'abord, parce qu'il est encore temps, tous mes vœux pour une année 2014 placée sous le signe de la joie et de l'émerveillement renouvelés.

Capture d'écran du documentaire de Tomas Leach consacré à Saul Leiter : In No Great Hurry (2013)

Saul Leiter. To Remember Richard. 1970s. Gouache et aquarelle sur papier. Howard Greenberg Gallery.

Saul Leiter. To Remember Richard. 1970s. Gouache et aquarelle sur papier. Howard Greenberg Gallery.

 

 

Nul doute qu'il a fallu beaucoup de patience et de douceur à Tomas Leach pour approcher Saul Leiter et réaliser son documentaire  In No Great Hurry, sorti quelques jours avant la mort du grand photographe, le 26 novembre dernier alors qu'il s'apprêtait à fêter ses quatre-vingt-dix ans. Car Saul Leiter a durant toute sa vie obstinément évité le succès et la célébrité. Son talent n'a jamais été ignoré, comme celui d'une Vivian Maier : en 1953, il participa à l'exposition organisée par  Edward Steichen au MoMa, Always the Young Strangers, mais déclina son offre deux ans plus tard  pour The Family of Man. Quelque temps plus tard, il laissa intacte une enveloppe venue de France dont il savait pertinemment qu'elle contenait une invitation à être exposé en Europe.  Un ami s'amusait de son talent à rater toutes les occasions. Il répliquait que son but dans la vie était de payer sa facture d'électricité et qu'il aspirait à être unimportant, pour mieux fuir les pourquoi et les explications.

C'est dans son appartement de East Village à Manhattan que Saul Leiter a reçu sur une période de trois années le jeune réalisateur britannique : une vaste pièce éclairée par une large baie vitrée poussiéreuse remplie de piles de boîtes de photos, de pellicules, de dizaines de milliers de clichés en pagaille, d'amas de menus objets, de portfolios posés contre des murs décrépits, de rayonnages de livres d'art jaunis. ponctuée des taches de couleurs de ses tableaux et de ceux de sa compagne Soames Bantry, décédée en 2002. Là, il profitait de l'un des grands plaisirs de sa vie : boire du café, écouter de la musique, peindre quand il en avait envie sur de petits carnets, parler d'art avec ses amis comme on parlerait du temps qu'il fait, regarder les gouttes tomber sur sa fenêtre. Dans le désordre, il se sentait à son aise, "dans un état de plaisante confusion", qui lui apportait le charme et le confort de pas savoir où étaient les choses. Là, il entretenait ce qui le tenait constamment en action : la quête de la beauté.  

Pendant plus de soixante ans, il a vécu dans le même immeuble au 111 E 10th Street, presqu'à l'angle de la 3d Avenue ( j'ai eu le pressentiment que SL était tellement modeste qu'une simple recherche dans les pages blanches me donnerait son adresse et cela a été le cas). La quasi-totalité de ses photos ont été prises dans un rayon de deux blocs autour de son appartement : il se promenait sans savoir à l'avance ce qui l'attendait, le regard en alerte, se réjouissant d'avoir capté quelques moments de grâce.

C'est avec grande émotion qu'on le regarde parler  : lentement, mi-malicieusement, mi-sentencieusement, l'oeil vif,  se moquant de lui même, terminant toujours ses phrases par de petits rires étouffés tout en remettant en place son écharpe ou son chapeau, comme s'il avait toujours froid.  Émotion aussi de voir cet homme pour qui la gentillesse , la quête de la beauté et  la poursuite d'une vie heureuse ne faisaient qu'un si apaisé et serein à l'approche de la mort.