Impressions de pleine lune

Hokusai. Fleurs de prunier et lune, Album Mont Fuji au printemps (Haru no Fuji) . Museum of Fine Arts, Boston.

 

 Les cours impériales japonaises ont vu naître plusieurs jeux d'extrême sophistication tels les tournois de poésie -  uta-awase  -  ou les concours d'objets -  mono-awase - consistant pour deux parties rivales à présenter les objets les plus précieux ou les plus surprenants.

L'un des rares à avoir survécu est le ko-awase,  fondé sur l'olfaction de bois odoriférants ( cèdre, santal, agar, cyprès, aloès, etc). Il a été codifié au XVe siècle sous forme de cérémonie de l'encens, le kōdō,  que deux écoles, Shino-ryu et Oie-ryu, ont perpétué jusqu'à nos jours. De génération en génération, la transmission se fait dans le silence et le recueillement en dehors de tout support textuel :  l'apprentissage  doit se passer de questions et nécessite de la part de l'héritier vingt à trente années pour parvenir à une maîtrise complète des gestes, des combinaisons, de la mémoire des parfums, des références littéraires.

Tout l'art du kōdō repose sur la capacité à établir une relation entre soi et l'éclat de bois parfumé . Il suppose de se percevoir en tant que partie de la nature afin d'établir une communication avec le cœur du bois pour l'"écouter".

Le maître de cérémonie est accompagné de trois assistantes. La première prépare l'encens : avec des gestes d'une extrême lenteur, elle sortira le bois d'une boîte pour le disposer sur une  plaque de mica, elle-même posée sur des cendres de charbon parcourues de lignes tracées à l'intérieur d'un bol de porcelaine tripode. La deuxième calligraphiera le déroulement du kumiko, le jeu de devinette, en inscrivant notamment le nom des participants et les résultats. La troisième distribuera un pinceau et de l'encre à chacun pour retranscrire ses intuitions sur un rectangle de papier plié en quatre .

Plus de deux cents jeux existent, pouvant faire intervenir jusqu'à dix "écoutes" autour de citations de poèmes classiques ou d'évocations du Genji Monogatori. Je décrirai ici un jeu simple, tel qu'il est proposé aux novices.

Au lendemain d'une nuit de pleine lune, le maître propose que le petit bout de bois représente la lune, tsuki.

Il fait passer un premier bol d'encens pour permettre de mémoriser l'odeur : la main gauche saisit le bol, pouce recourbé le rebord, la main droite se pose au-dessus de l'encens, en dôme,  pouce et index formant une  fenêtre. Trois inspirations profondes.

Sont ensuite proposés trois autres bols d'encens  : les participants doivent deviner à chaque fois s'il s'agit du bois "lune"( L) ou d'un bois "invité" (G).

L'une des assistantes rassemble les papiers et les remet au scribe qui proclamera les résultats après avoir donné une transcription poétique à  chaque série de trois,  en prenant en compte l'ordre dans lequel apparaissent les  "L" et "G".

- lune+invité+lune sera désigné comme le reflet de la lune dans l'eau,

- invité +lune + invité :  la lune vue à travers le feuillage

- trois fois "lune" : pleine lune

- trois fois "invité" : nuit de pluie, amaya

etc.

Ainsi le participant gardera-t-il non seulement en mémoire le parfum du bois en laissant errer son imagination dans son effluve re-suscité avec une surprenante intensité, mais aura eu l'impression d'être entré en symbiose avec la lune. Une expérience poétique totale.

 

 

 

 


Pour s'initier au kōdō à Paris, il est judicieux de surveiller l'agenda de la Maison de la culture du Japon.

L'Oeil végétal

Détails de la Contemplation des lotus de Li Keran et d'une composition de Catherine Bourzat autour d'une  créature mi-végétal mi-insecte

Trouvez un moment calme au milieu de votre journée, installez vous devant votre écran comme si vous vous apprêtiez à participer à une cérémonie du thé, et plongez vous dans l'univers de l'Œil végétal , vous ressentirez l'harmonie du monde. 

Une sensation rare comme ce carnet offert si généreusement à notre délectation par Catherine Bourzat.

"Carnet d'inspiration, travaux en cours, propos de jardin, fabrique à images, poésie, goût du thé, compagnie des fleurs, carnets de voyages, pensées japonaises, chinoiseries, bouts de papier, pierres étranges, menues choses" : autrement dit grâce de l'érudition, bonheur de l'écriture, poésie du regard, force du végétal, éloge de la futilité, raffinement des rebuts, en compagnie choisie. 

Vous embarquerez pour bien des voyages, de l'oeil, du goût et de l'esprit, cheminerez aux côtés de lettrés chinois, déroulerez des rouleaux précieux, et vagabonderez au gré des pages d'almanachs d'horticulture du XVIIe siècle pour assister à l'éclosion d'un magnolia  :

" Oh ! la bienheureuse saison où les arbres reviennent à la vie, et combien rapides sont leurs premiers pas ! A l’année qui s’est enfuie vient se substituer l’année qui commence ; liduan ouvre la voie au printemps qui va surgir ; vingt-quatre fois encore nous allons voir se succéder les termes solaires ; voici venir la première lune. Les poissons se réjouissent de voir disparaître leur prison de glace, bientôt vont passer les oies sauvages. Et cependant l’iris oulan embaume l’air, le daphné ruixiang est prêt à s’élancer, le cerisier yingtao va bientôt montrer ses élégantes corolles ; le saule yangliu semble désirer ses bourgeons ; en tête de tous marche le magnolia wangchun ("désirer le printemps"). Par centaines renaissent les plantes, c’est la saison bienheureuse où, par milliers, vont s’ouvrir les fleurs."

 

Yakumo Saryo

photo empruntée à Jérôme Galland

Dans un quartier résidentiel de Tokyo, Yakumo Saryo, le dernier restaurant du grand designer japonais Shinishiro Ogata, du studio Simplicity : de l'architecture intérieure aux boîtes plateaux en bois, des luminaires aux emballages cadeaux, des fenêtres à la composition des menus, de la végétation à la vaisselle, tout a été pensé dans le moindre détail comme un tout qui fait sens.  Au comptoir de dégustation Baishinka, on savoure en ce moment (une bouchée différente pour chaque mois), un petit gâteau à base brune recouvert d'un appareil blanc à l'intérieur duquel se love une tige verte : l'éclosion des fleurs sous la neige.

 

 

 

Voir le reportage très complet du blog australien, Upon a Fold.

Première photo empruntée à Jérôme Galland ; photos suivantes issues du site Yakumo Saryo et du compte flickr de  satoshi;

Voir aussi les pâtisseries et salons de thé de Shinichiro Ogata, Higashiya

 

L'âme des fleurs

 

Chaque jour depuis un an, le grand maître de l'ikebana Kawase Toshiro présente une composition dans un petit vase ancien et l'accompagne d'une phrase courte sur les jeunes filles, les souvenirs, les gouttes d'eau, les étoiles, la tranquillité, une vierge à l'enfant de Piero della Francesca, le silence de l'hiver, le vent dans la montagne, une danse, une ombrelle, la force de la vie, l'espoir. Un exercice quotidien de méditation où couper la plante revient à aller à la rencontre de sa nature intrinsèque, au-delà de son apparence et des caractéristiques communes qui la lient aux autres spécimens de son espèce.