Dans la tête de Carll Cneut
Devant une fenêtre embuée par le froid d'un lumineux après-midi gantois, des plantes magistralement tracées. Sur le rebord, des piles de livres consacrés à Goya, aux primitifs flamands, des contes de Grimm illustrés, un catalogue de l'exposition Perroquets de la maison Rockox. Plus loin, une table de travail envahie de tubes de peinture, des feuilles de papier couvertes de taupes costumées, demi-crayonnées, demi-peintes. Aux murs, des dizaines d'oiseaux aux corps hybrides, partagés entre virtuosité naturaliste et trait naïf. C'est là que Carll Cneut, l'un des plus grands illustrateurs de sa génération, a installé son atelier éphémère, aboutissement du parcours de l'exposition qu'il a conçue pour l'Abbaye Saint-Pierre : In my Head. Plus de dix mille personnes s'y sont déjà pressées depuis le mois de novembre et son dernier albulm, De Gouden Kooi, (La volière d'or), chef-d’œuvre né du magnifique conte philosophique écrit par Anna Castagnoli en est à sa deuxième réimpression.
N'aurait-on pu voir que ce lieu baigné de lumière que l'on serait reparti heureux et plein de l'harmonie que procure le spectacle de la beauté. Mais c'est avec d'autres yeux que le visiteur le découvre car chaque élément est éclairé par la première étape de l'exposition consacrée à l'enfance du dessinateur. Sous le regard des anges de la voûte de bois du réfectoire de l'abbaye, de hauts murs recouverts de dessins agrandis circonscrivent des salles à la scénographie toute théâtrale convoquant dessins, objets, meubles, maquettes et vidéos. Le visiteur semble invité à naviguer dans les interstices d'un album illustré, là même où l'imagination de Carll Cneut se meut.
Tout commence dans une ferme de Flandre-Occidentale : petit point qui grandit grandit au bout d'une route rectiligne bordée d'arbres jusqu'à former un château de brique rouge. Et les petits amas de peinture sur la palette de papier quadrillé de l'atelier commence à former une curieuse résonance avec la boue, les boues de différentes textures, qu'aimait à malaxer le petit Carll. Les contes de Grimm semblent appeler l'histoire inventée par sa mère pour le détourner d'un étang aux eaux noires au fond duquel vivait tapie Kalle au crochet, prête à attraper les enfants pour tenir compagnie à son fils noyé . Les oiseaux scotchés au mur ne se seraient-ils pas échappés des cages et volières qu'il aimait placer un peu partout dehors, fasciné par la couleur du plumage autant que par celle des déjections de leurs prisonniers ? Ces livres d'art auraient-ils existé sans cette collection de reproductions de tableaux de grands maîtres acquises en amassant les bons des paquets de pâtes Soubry ? Brueghel, Rubens, Van Eyck, Bosch et Ensor, le préféré d'entre tous, sentent-ils toujours la bolognaise ? Et que dire de cette vidéo d'un gros plan sur sa main en train de dessiner et de peindre Mickey, le personnage que crayonnait pour lui d'une main si sûre un père trop tôt disparu ?
Inutile de préciser avec quelle émotion le visiteur aborde la partie médiane de l'exposition, où se succèdent les originaux dans la pénombre puis la lumière, l’œil tour à tour captivé par les effets de relief et de transparence, presque indiscernables sur les pages imprimées. Ce qui n'empêche pas, lorsque de retour chez soi l'on feuillette les albums de Carll Cneut, de ressentir une sourde nostalgie pour cet univers découvert entre leurs pages.
Exposition Carll Cneut : In My Head. Sint Pietersabdij, Gand. Jusqu'au 10 mai 2015. (pour les non-néerlandophones, demander la traduction anglaise du texte dit par Wouter Deprez pour les audioguides)
Kiosque
Au kiosque à journaux, savoureux télescopage : la géniale couverture de Monsieur par Floc'h se moque à merveille du hideux magazine Simple things "source d’inspiration pour tous ceux qui veulent donner du sens à leur vie en se recentrant sur un art de vivre simple, authentique et hédoniste".