Leave on the right, Coldharbour Lane
Left into Denmark Hill
Forward Camberwell Road
Forward Walworth Road
Comply Elephant and Castle
Leave by Newington Causeway
Forward Borough High Street
Forward over London Bridge
Forward into King William Street
Forward Lombard Street
Forward Bank Junction
Forward Prince’s Street
Forward Moorgate
Forward Finsbury Pavement
Forward Finsbury Square
Forward City Road
Comply Old Street roundabout
Leave by City Road continued
Right Provost Street
Right Vestry Street
Left into East Road
Forward New North Road
Forward Canonbury Road
Comply Highbury Corner
Leave by Holloway Road
Right Drayton Park
Set down on the left
Une liste de noms de rue, dite à toute allure, c'est l'effet que déclenche chez un apprenti chauffeur de taxi londonien un examinateur en lui demandant de décrire un trajet d'un point à un autre. Et ces deux points à relier peuvent fort bien n'être que deux simples pubs car l'aspirant cabbie ne doit pas seulement connaître toutes les rues et les sens de circulation dans un rayon de dix kilomètres autour de la statue équestre de Charles I à Charring Cross - et cela en fait 25 000 à retenir - mais aussi tous les parcs et jardins, tous les bâtiments officiels, tous les lieux de culte, tous les équipements sportifs, tous les hôtels, tous les cinémas et théâtres, tous les musées et galeries d'art, toutes les écoles, toutes les pharmacies, tous les sièges d'entreprise, tous les établissements universitaires, tous les commissariats de police, toutes les boutiques, tous les restaurants, tous les pubs, bref tout endroit public où un client pourrait vouloir aller. Cet examen, le plus difficile au monde, s'appelle The Knowledge ; il réclame trois à quatre ans d'apprentissage sept jours sur sept et des capacités de mémorisation si poussées qu'elles provoquent des modifications neurologiques.
Ce qui est réclamé du candidat est bien une connaissance totale de la ville. Elle associe deux opérations de saisie de l'espace bien distinctes : l'une, fondée sur les flux, les itinéraires, la circulation et donc aussi le temps ; l'autre fondée sur les lieux, la stabilité, les frontières, une configuration de positions, un paysage visuel (streetscape). Il s'ensuit une structuration de l'apprentissage autour de deux principaux exercices : the run, qui consiste à établir des trajets le plus rapidement possible face à un partenaire d'entraînement et à mesurer ensuite leur longueur sur une carte grâce à une ficelle de coton ; le pointing, un repérage zone par zone effectué en vélo ou en scooter, gilet fluorescent, carte sous une protection de plexiglas, à l'affut du moindre détail (Il n'est pas rare d'en croiser).
Tout candidat, testé à intervalles réguliers par des examinateurs redoutés, doit se tenir prêt à répondre à de terrifiantes questions : la localisation de telle laverie automatique ou pire encore de telle petite sculpture apposée sur une façade représentant deux souris se disputant un bout de fromage. Les examinateurs doivent, bien entendu, eux-mêmes se former en permanence afin d'être à la hauteur du défi qu'impose cette ville immense en perpétuel chantier.
A l'heure du GPS et de la concurrence des véhicules de tourisme avec chauffeur, s'astreindre à suivre le chemin de croix que constitue The Knowledge n'est pas autre chose que de déclarer son amour à Londres.
Tout cela, vous le comprendrez en lisant l'article magistral que Jody Rosen a consacré à The Knowledge pour le T Magazine du New York Times : une enquête de sept pages qui procure un rare plaisir de lecture.